Dans un contexte où plusieurs régulateurs revoient leurs ambitions en matière de durabilité, l’ISSB vient à son tour, le 8 avril 2025, de lancer une consultation publique sur une série d’amendements à la norme IFRS S2, qui régit la publication d’informations climatiques par les entreprises. Ces modifications visent principalement à faciliter l’application des exigences de déclaration des émissions de gaz à effet de serre (GES) du Scope 3 (émissions indirectes sur la chaine de valeur).
L’exposé-sondage proposant des amendements ciblés à l'IFRS S2 (Climate-related Disclosure - Informations relatives au climat) que vient de publier l'International Sustainability Standards Board (ISSB), vise à répondre aux retours du marché concernant les difficultés pratiques d’application des règles de divulgation des émissions de gaz à effet de serre (GES), tout particulièrement pour les émissions du Scope 3.
Celles-ci étant considérées par certaines entreprises comme complexes à mesurer, car indirectes et générées tout au long de la chaîne de valeur.
La vice-présidente de l’ISSB, Sue Lloyd, a notamment justifié cette décision par « la nécessité d’accompagner les préparateurs sans créer de perturbation excessive, tout en maintenant la pertinence des informations pour les investisseurs ». Cependant, loin d’être anodines, les émissions du Scope 3 qui doivent être collectées sur la chaîne de valeur étendue d’une entreprise, peuvent être aussi les plus significatives dans de nombreux secteurs.
Zoom sur les principales mesures proposées
Le projet d’amendement introduit plusieurs dispositions optionnelles, dont les principales concernent :
- Une exemption à la déclaration des émissions de portée 3, catégorie 15, liées aux dérivés et à certaines activités financières.
- La possibilité de ne pas recourir au Global Industry Classification Standard (GICS) dans certains cas pour la ventilation des émissions financées.
- Une flexibilité dans la méthode de mesure des émissions, autorisant l’usage de méthodologies locales différentes du Greenhouse Gas Protocol, si elles sont exigées juridiquement.
- L’utilisation de facteurs d’émission (GWP) autres que ceux publiés par le GIEC, sous réserve d’exigences locales.
Ces mesures, bien que présentées comme un assouplissement du reporting extra-financier, introduisent une variabilité significative dans les pratiques de reporting et sont susceptibles d’augmenter le risque de divergences d’interprétation, notamment dans un contexte de consolidation ou d’analyse sectorielle.
En fait, ces propositions s’inscrivent dans un mouvement plus large de « réalignement » des exigences de durabilité, observé récemment en Europe avec le report de certaines obligations de la directive CSRD. Si l’ISSB insiste sur le maintien de la « décision-utilité » des données pour les investisseurs, les aménagements proposés pourraient fragiliser la comparabilité et la cohérence du reporting climatique.
Une normalisation entre ambition et faisabilité
Si l’intention de l’ISSB, faciliter l’adoption rapide de ses normes, est compréhensible, ces concessions posent la question de la robustesse du cadre normatif international sur la durabilité. En particulier, elles mettent en lumière les tensions entre les impératifs de crédibilité de l’information climatique et les contraintes opérationnelles des préparateurs.
Pour les directeurs financiers, ces changements représentent une opportunité de simplifier certains processus de reporting climat, mais également une source de vigilance accrue. Le choix d’appliquer ou non ces allègements devra être rigoureusement documenté, aligné avec les attentes des parties prenantes (investisseurs, régulateurs, auditeurs) et cohérent avec les engagements RSE de l’entreprise.
S’agissant des commissaires aux comptes et auditeurs, ces flexibilités complexifient la mission d’assurance de l’information extra-financière : variabilité des méthodologies, comparabilité affaiblie, et recours à des référentiels alternatifs nationaux vont nécessiter une adaptation fine des approches d’audit et des outils de contrôle.
Une adoption prévue d’ici fin 2025
La période de consultation publique, ouverte jusqu’au 27 juin 2025, sera déterminante pour jauger la réaction du marché et des parties prenantes.
Ces amendements ne seront définitifs qu’après l’analyse des retours issus de la consultation publique. L’ISSB prévoit une adoption finale avant la fin de l’année 2025.
En attendant, les entreprises peuvent continuer à appliquer la version actuelle de la norme IFRS S2, en vigueur depuis juin 2023.
« Proposer des amendements à une norme aussi récente n’est pas une décision prise à la légère », a souligné Sue Lloyd, vice-présidente de l’ISSB.
Toutefois, l’ISSB devra démontrer que ces allègements ne remettent pas en cause l’intégrité du cadre IFRS S2, alors que la confiance dans la qualité et la comparabilité des informations extra-financières est plus que jamais un enjeu clé pour les professionnels du chiffre et de l’audit. Ces derniers ont donc un rôle essentiel à jouer dans l’analyse et la formulation de retours critiques.
Samorya Wilson