« Les CACs sont des entrepreneurs au service d’autres entrepreneurs »

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Rencontre avec Philippe Vincent, président de la Compagnie nationale des commissaires aux comptes, à l’occasion des Assises de la profession qui se sont déroulées à Bordeaux les 4 et 5 décembre sous le thème « Dirigeants & Auditeurs : quelles dynamiques de croissance ? ». Il évoque les défis récents, le rôle des auditeurs dans la confiance économique et leur contribution au développement des entreprises, ainsi que les grands chantiers de la durabilité et de l’intelligence artificielle.

 

L’Expert : Un an après votre élection à la tête de la CNCC, quel bilan tirez-vous ?

Philippe Vincent : Je n'aime pas vraiment le terme « bilan », car il suggère qu'on s'arrête pour passer à autre chose. Je préfère parler d'enseignements à tirer d'une première année qui a été effectivement assez bouleversée par rapport à ce que nous avions pu imaginer. La profession et l'institution ont énormément investi sur de nouveaux champs de travaux, notamment la certification des données de durabilité. Ces travaux ont connu les déboires que l'on sait dans un contexte général qui s'est retourné de manière extrêmement rapide et inattendue. On peut évoquer l'élection de Donald Trump à la tête des États-Unis, mais ce sont surtout les élections législatives de ce côté-ci de l’Atlantique, que ce soit en France ou au niveau européen, qui ont considérablement reconfiguré la physionomie de nos parlements respectifs et entraîné la remise en cause de certaines règles. Dans un métier où nous évoluons sur des enjeux de confiance et de régulation, cela crée forcément un climat qui n'est pas le plus simple.

Justement, comment avez-vous réagi face à ces bouleversements concernant la durabilité ?

P.V. : Nous avons énormément travaillé cette première année à continuer de défendre l'idée que la durabilité représente un enjeu incontournable, notamment en termes économique pour les entreprises. Même si le premier exercice a provoqué des protestations, aujourd'hui, tout cela est très largement derrière nous. Pour les entreprises de la première vague, c'est devenu quelque chose d'assez standard, et surtout, elles y ont trouvé un intérêt réel dans la mesure où cela leur a permis de disposer d’un certain nombre d'informations auxquelles elles n’avaient pas forcément accès, et de manière aussi précise, avant la mise en place de la CSRD. Par ailleurs, face à la remise en cause de ces règles de durabilité appliquées aux entreprises, nous avons multiplié les échanges avec des parlementaires, ainsi qu’avec les institutions européennes et internationales représentatives de la profession comptable que sont Accountancy Europe et l'IFAC. Nous avons également Interpellé la Commission via une lettre ouverte à sa présidente, Mme Ursula von der Leyen. Ce contexte a accéléré notre objectif visant à faire entendre la voix de la France dans le débat européen, au-delà de la seule question de la durabilité.

 

L'Union européenne semble se recentrer sur la VSME, le reporting volontaire pour les petites structures. Qu'en pensez-vous ?

P.V. : La VSME présente un intérêt par rapport aux ESRS (les normes de reporting de durabilité), car c'est un référentiel beaucoup plus simple. Peut-être même trop simple, car elle était initialement prévue pour les toutes petites sociétés, quasiment les TPE. Le problème, c'est que nous avons une législation qui couvre soit les très grosses entreprises, soit les toutes petites, mais qui n'a rien proposé pour l'entre-deux. Or c'est cet entre-deux qui se retrouve fragilisé et que nous devons défendre et protéger. La VSME est une piste de reporting volontaire, mais je pense qu'elle sera probablement complétée pour l’adapter aux exigences du marché. En effet, toute entreprise qui ne donnera pas quelques gages sur la soutenabilité de sa trajectoire aura du mal à se financer et à s'assurer.

 

S’agissant des entreprises intermédiaires, le Parlement européen a voté un texte réduisant à néant la CSRD et la CSDDD. Faut-il s’attendre à des impacts conséquents sur les CAC verts ?

P.V. : La remise en cause de la CSRD et de la CDDD me paraît difficile, voire impossible à mettre en œuvre. Dans toutes les actions de sensibilisation sur les questions de durabilité que nous avons menées avec les différentes parties prenantes, nous constatons que les banques, les fonds d'investissement et les assureurs vont, de toute manière, aller chercher l'information qu'elles n'obtiendront pas via un reporting obligatoire. Pour ces acteurs majeurs, cela reste vital pour continuer à financer l'économie. Nous observons également que cet enjeu de la durabilité monte progressivement en puissance au sein des représentations patronales, avec une prise de conscience de la fragilité dans laquelle pourraient se retrouver certaines PME-ETI, exposées à un éparpillement des demandes de leurs financeurs sur le sujet, et ce à très court terme.

 

Avez-vous constaté une baisse de demande de formation pour le visa de durabilité, suite à ces remises en cause successives ?

P.V. : Non, il n’y a ni retrait massif ni arrêt des formations, bien au contraire : la population des commissaires aux comptes « verts » croît régulièrement. Nous avons aujourd'hui plus de trois mille confrères inscrits auprès de la Haute Autorité de l'Audit (H2A), après avoir suivi les quatre-vingt-dix heures de formation obligatoire. Cela représente environ la moitié des commissaires aux comptes en activité et inscrits comme « CAC vert ». De plus, l'intérêt pour les mises à jour et les nouvelles formations relatives à la durabilité ne semble pas faiblir. En effet, nous voyons la durabilité comme un élément d'appréciation de la pérennité de l'entreprise et de sa capacité à transformer ses modèles d'affaires.

De plus, nous sommes une profession de valeur qui pense à l'avenir de nos enfants, de notre propre pays et notre tissu économique. Et nous sentons bien que la durabilité restera un enjeu prédominant qui reviendra dans les discussions économiques, notamment en ce qui concerne le développement des entreprises.

 

Le thème des Assises 2025 de la CNCC est : « Dirigeants et auditeurs, quelle dynamique de croissance ? ». Qu’entendez-vous par cela ?

P.V. : Il s'agit d'abord de rappeler à nos confrères et consœurs qu'ils ne sont pas que des commissaires aux comptes, mais avant tout des entrepreneurs au service d'autres entrepreneurs. Un entrepreneur qui doit se remettre en question et rester en parfaite adéquation avec les attentes de ses clients. Pour que notre expertise soit recherchée, il est vital pour nous de se mettre à la place de nos clients afin d’accompagner au mieux leur dynamique de croissance. Nous apportons une sécurité essentielle dans un monde incertain : à la complexité réglementaire, aux hausses de prix, aux aléas douaniers, aux risques cyber ou numériques, nous offrons un filet de sécurité permanent. Notre mission va au-delà des comptes : c’est un dialogue permanent sur la gestion des zones de risque, la fiabilité des processus.

Propos recueillis par Samorya Wilson

                                                                                                                        Retrouvez la suite de l'interview ici