Les 36e Assises de la Compagnie nationale des commissaires aux comptes (CNCC), ont eu lieu à Bordeaux ces 4 et 5 décembre autour du thème : « Dirigeants et auditeurs, quelle dynamique de croissance ? ». Entre plaidoyer pour le maintien des exigences de durabilité, les enjeux de l’IA, la défense du Pacte Dutreil et l’alerte sur la santé des dirigeants, l'événement a mis en lumière le positionnement des auditeurs comme piliers de la confiance économique.
Philippe Vincent, président de la CNCC, a donné le ton dès l'ouverture de ces Assises, cette année placées sous le signe de la croissance et de l'entrepreneuriat. Son message a été de dire aux commissaires aux comptes qu’ils doivent se percevoir avant tout comme des entrepreneurs accompagnant d'autres entrepreneurs.
Pour le président de la CNCC, la profession apporte bien plus qu'une validation comptable : elle offre une sécurité dans un environnement économique complexe, marqué par l'incertitude réglementaire, les risques cyber et les tensions géopolitiques.
Philippe Vincent insiste particulièrement sur la valeur ajoutée des commissaires aux comptes pour les PME : « Cette capacité à anticiper les problèmes, c'est vraiment le propre des commissaires aux comptes, et c'est extrêmement utile. pour les petites et moyennes entreprises ». Selon lui, l'erreur a été de penser que les PME avaient moins besoin d'accompagnement que les grandes entreprises, alors qu'elles disposent de moins de ressources internes en matière juridique et financière.
La remise en cause du Pacte Dutreil sous le feu des critiques
Invité d’honneur, Renaud Dutreil, ancien ministre des PME et père du dispositif fiscal qui porte son nom, a vigoureusement défendu son outil face au récent rapport de la Cour des comptes de novembre 2025 appelant à mieux cibler ce mécanisme. Avec une pointe de provocation, il a lancé : « est-ce qu'il vaut mieux demander aux 22 000 experts comptables français si les pactes Dutreil sont utiles au pays, ou bien est-ce qu'il faut le demander aux quelques fonctionnaires de la Cour des comptes qui n'ont jamais mis les pieds dans une entreprise de leur vie ? ». Selon lui, « il y a un vrai sujet culturel en France sur l'envie de transmettre ».
L'ancien ministre a également présenté une proposition forte : étendre le Pacte Dutreil aux salariés. L'objectif serait de permettre aux collaborateurs d'acquérir du capital de leur entreprise avec un blocage de cinq ans, puis de céder leurs titres sans taxation sur les plus-values après une seconde période de cinq ans. Pour lui, ce dispositif pourrait transformer progressivement des salariés en actionnaires, renforçant ainsi leur attachement à l'entreprise.
Cette proposition viserait aussi à fidéliser les talents et à limiter la mainmise croissante des fonds d’investissement sur les professions réglementées. «Votre secteur est extrêmement convoité parce qu’il y a des flux réguliers et peu de défaillances. Mais livrer les professions réglementées à des fonds d'investissement américains comporte des risques », a-t-il déclaré. Il plaide ainsi pour une meilleure compréhension du rôle économique des professionnels du chiffre.
Durabilité, facturation électronique, IA : un cap commun entre CNCC et CNOEC
La conférence plénière réunissant Damien Charrier, président du CNOEC, et Philippe Vincent a permis de rappeler les grands chantiers techniques et réglementaires du moment. Ainsi, Damien Charrier a insisté sur l’échéance de la facturation électronique et sur les ressources mises à disposition telles que les webinaires mis en place par l’Ordre pour accompagner les professionnels dans l’application de la réforme.

Les deux présidents ont également souligné l’importance de poursuivre l’effort en matière de durabilité. Face aux remises en question de la directive européenne CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) et de la CDDD (Corporate Sustainability Due Diligence Directive), Philippe Vincent s'est montré ferme. Pour lui, un retour en arrière semble « difficile, voire impossible à mettre en œuvre ». Il a rappelé que les acteurs financiers majeurs – banques, fonds d'investissement et assureurs – continueront de toute façon à rechercher ces informations, considérées comme vitales pour leurs décisions de financement.
Les deux présidents se sont également penchés sur les transformations liées à l’intelligence artificielle, qui bouleversent simultanément les métiers d’expertise comptable et d’audit.
La santé du dirigeant, un capital immatériel négligé
Un autre temps fort de ces Assises 2025 est l’intervention d’Olivier Torrès, professeur à l'Université de Montpellier et fondateur de l'Observatoire Amarok, qui étudie les liens entre la santé de l’entreprise et celle de son dirigeant. Il a ainsi abordé un sujet souvent tabou : la santé des chefs d'entreprise. Ses recherches révèlent un déni généralisé, résumé par la phrase qu'il entend le plus souvent : « je n'ai pas le temps d'être malade », ou encore : « je n’ai pas le droit d’être malade ». Or, pour lui, la santé est le « premier capital immatériel » de l’entreprise. Un propos qu’il n’a cessé de marteler et d'ajouter que cette problématique devient d'autant plus critique que la taille de l'entreprise est petite.
Le professeur a également rappelé que le stress reste le premier facteur de risque de dégradation. Il a aussi demandé avec humour à l’assistance enthousiaste : « si vous pouviez m'aider à tordre le cou à cette très mauvaise distinction entre bon et mauvais stress. Parce que je suis au regret de vous dire que le bon stress, ça n'existe pas pour la santé ! »
Pour conclure ces Assises 2025, Philippe Vincent a donné rendez-vous à la profession à Paris les 7 et 8 décembre 2026 pour les prochaines 37eme Assises, sur le thème de « l’Innovation et l’audit ». Un sujet qui marque la volonté de la profession de rester à la pointe des transformations économiques et technologiques.
Samorya Wilson
