Une tribune d'Ivo Mertens, Chief Revenue Officer, iBanFirst.
C’est un fait : les entreprises importatrices affichent généralement une fidélité envers les pays où elles s’approvisionnent. Dans la majorité des cas, leurs choix sont rationnels. Mais résultent de calculs effectués il y a plusieurs années... et qui ne se sont plus forcément opérants.
En effet, même si les fournisseurs ont su rester compétitifs en termes de prix et de qualité, une nouvelle donne s’est invitée dans l’équation ces derniers mois : la volatilité monétaire. Et elle rabat la carte des pays bon marché. Dans certains cas, l’appréciation aussi forte que récente de monnaies remet largement en cause des filières. Et l’inverse est aussi vrai.
Prenons le Japon par exemple. Si vous aviez vérifié le prix d’un produit en 2020, et que vous faisiez la même chose aujourd’hui, la valeur de ce que vous auriez à payer en euros aurait diminué de plus de 25 %, uniquement en raison de l’effet de change. De la même manière, le prix des biens en provenance de Suède a baissé d’au moins 15 % ces deux dernières années.
Actuellement, la Suède et le Japon sont considérés comme des marchés présentant une volatilité monétaire modérée. Dans des marchés plus volatiles, le même effet peut être observé, mais de manière beaucoup plus prononcée... Que dire du Rand sud-africain (ZAR) qui a perdu la moitié (!) de sa valeur en 10 ans, ou de la livre turque, qui représente maintenant 20 % (oui, un cinquième) de sa valeur de 2020 !
Evidemment, personne ne peut prédire quels marchés deviendront plus ou moins attractifs du point de vue des devises. Mais en période d'inflation et d'incertitude géopolitique, il est logique de reconsidérer périodiquement ses choix en matière de chaîne d'approvisionnement.
Pourquoi maintenant ? Tout d’abord, parce que la dépréciation de certaines des devises a connu un réel accélérateur ces derniers mois. Par exemple, dans les deux cas de la couronne suédoise (SEK) et du yen japonais (JPY), plus d’un tiers de leur dépréciation s’est produite au cours des trois derniers mois.
Ensuite, dans un double contexte d’inflation et de récession, les CEO et CFO sont en quête de marge. Le statut quo n’est plus permis. Un vaste mouvement rabat actuellement les cartes des pays importateurs ; les entreprises adaptent en temps réel leur circuit d’approvisionnement. En 2022 par exemple, les exportations du Japon vers les Etats-Unis ont augmenté de 45 %. Et même si l’ensemble de l’industrie japonaise ne peut profiter de cette « faiblesse », elle change la donne pour beaucoup de secteurs. C’est le cas notamment des industries qui ne dépendent pas fortement des matières premières, importées en dollar fort. Pour certains secteurs caractérisés par une dépendance plus faible ainsi qu’une valeur ajoutée élevée - comme les fruits de mer ou l’électronique - le Japon pourrait devenir le lieu d’approvisionnement privilégié. De même, un nombre croissant d’entreprises européennes se tourne vers des marchés tels que la Turquie ou l'Afrique du Sud pour une gamme de produits, allant des textiles aux meubles en passant par les machines électriques.
Cette agilité nouvelle est aussi rendue possible par l’existence d’un nouvel écosystème de fintech. Elles sécurisent les entreprises dans leurs choix en offrant des solutions financières pour se protéger des risques de changes et verrouiller la valeur de leurs achats futurs. Désormais, les PME ont aussi accès à de meilleures conditions de change pendant une plus longue période. Un nouveau champ des possibles s’ouvrent à elles.
Volatilité monétaire, inflation, tensions géopolitiques, mais aussi multiplication des nouvelles mesures protectionnistes... Pour les entreprises, le statut quo n’est plus possible. C’est pourquoi une revue des pays fournisseurs est actuellement en cours au sein des grands groupes comme des PME. Cela permet à la fois de réévaluer la stabilité des chaines d’approvisionnement, mais aussi d’établir une nouvelle carte des pays compétitifs. Et de nombreuses surprises se profilent !