Le devoir de vigilance des sociétés mères, une obligation en mouvement

Organisation, gestion et développement
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Une tribune d'Olivier Buisine, consultant, Regulate, ancien Président de l'IFPPC (Institut français des praticiens des procédures collectives).

Alors que la pression de la société civile s’accentue concernant la transparence des activités des entreprises, le devoir de vigilance, obligation récente pour les grands groupes, tend déjà à évoluer. Décryptage.

L’évolution rapide du devoir de vigilance

La loi du 27 mars 2017 constitue le pilier en droit français du devoir de vigilance. Toute société qui emploie, à la clôture de deux exercices consécutifs, au moins cinq mille salariés en son sein et dans ses filiales directes ou indirectes, doit en effet établir et mettre en œuvre de manière effective un plan de vigilance, qui est rendu public. La France est un pays précurseur en la matière. Initialement critiquée comme imposant des obligations particulières et supplémentaires aux grands groupes français par rapport à leurs concurrents internationaux, la législation française a fait des émules dans d’autres pays (Pays-Bas, Allemagne) et un projet de directive est actuellement débattu au niveau européen.

Des contentieux commencent par ailleurs à être initiés et des mises en demeure à être délivrées sur le fondement d’un éventuel manquement lié à la communication du plan de vigilance. Pourtant récente, cette obligation connait peut-être déjà un essor vers de nouveaux pans notamment en matière environnementale. Des ONG tentent ainsi d’intégrer l’absence de respect de certains pans du droit de l’environnement dans la sphère du devoir de vigilance (déforestation, pollution plastique, respect de l’Accord de Paris en matière climatique, biodiversité, etc.). Ces réflexions posent en réalité la question de l’étendue des obligations des entreprises, des limites du devoir de vigilance et de l’éventuelle insécurité juridique de la législation en vigueur.

Une nouvelle composante du dialogue social

Le plan de vigilance a vocation à être élaboré en association avec les parties prenantes de l’entreprise. Le devoir de vigilance constitue une nouvelle composante du dialogue social. Les institutions représentatives du personnel ne sont peut-être pas encore suffisamment formées à ces problématiques, qui sont à la fois techniques et nouvelles.

Une obligation à respecter de l’investissement au démantèlement du projet industriel

Ces obligations récentes doivent être prises en considération de l’investissement productif jusqu’au démantèlement d’un projet industriel. On pense en particulier aux activités d’extraction minière par exemple. Les projets industriels intègrent également des éléments de compensation et de restauration écologiques.

La collecte de données et l’évaluation des tiers

Concrètement, les grandes entreprises doivent pouvoir justifier que leurs fournisseurs et leurs filiales respectent les droits humains (travail décent, égalité hommes femmes, droit de grève, etc.) et le droit de l’environnement. Mais jusqu’à quel point ? Fournisseurs et sous-traitants de rang 1, rang 2, au-delà ? La question de la limite de l’étendue du respect du devoir de vigilance et des sanctions encourues en cas de manquement n’est ainsi pas évidente à trancher.

La justification du respect des obligations par l’entreprise suppose la collecte de données et le déploiement d’outils numériques spécifiques (logiciels, applications, etc.), ce qui est un élément relativement nouveau dans l’environnement de l’entreprise. Ces éléments de reporting extra-financier viennent par ailleurs s’ajouter à ceux liés à la taxonomie européenne.

Une dimension transversale

« Achats responsables », « responsable droits humains et devoir de vigilance », de nouvelles fonctions apparaissent dans les grandes entreprises. En réalité, le devoir de vigilance est une obligation qui se décline au sein de l’ensemble du management de l’entreprise. Il revêt en effet un caractère transversal qui concerne la gouvernance, la stratégie, la compliance, les achats, la maitrise des risques et la dimension opérationnelle de l’entreprise.

Au-delà de l’impact réputationnel lié à l’absence de respect du devoir de vigilance, sensibiliser davantage les directions et les organes de gouvernance des grands groupes ainsi que les institutions représentatives du personnel à ces problématiques récentes, qui sont en perpétuelle évolution, constituera l’un des enjeux à venir.