Une tribune de Vincent Maurel, Avocat Associé, avec Arthur Boutemy et François Warcollier, Avocats chez Fidal.
Le gouvernement semble bien décidé à faire de la France une terre d’accueil pour les levées de fonds en crypto-monnaies (ICO). Il propose ainsi, au travers de l’article 26 de la loi PACTE, d’introduire dans le livre V du Code monétaire et financier, relatif aux prestataires de services d’investissement, un chapitre consacré aux émetteurs de jetons.
Serait ainsi créé un régime juridique ex nihilo pour réguler les ICO, sur la base d’une définition bienvenue de la notion juridique de jeton : constituerait un jeton « tout bien incorporel représentant, sous forme numérique, un ou plusieurs droits, pouvant être émis, inscrits, conservés ou transférés au moyen d’un dispositif d’enregistrement électronique partagé permettant d’identifier, directement ou indirectement, le propriétaire dudit bien ».
Conformément aux recommandations formulées par l’AMF, il est en particulier envisagé l’instauration d’un visa optionnel des offres en France. L’objectif est de créer un contexte rassurant pour les investisseurs sans pour autant contraindre de manière excessive les acteurs de la crypto-monnaie.
Une telle réglementation ne va pas, toutefois, sans soulever un certain nombre d’interrogations, eu égard à l’extrême complexité du sujet, notamment en ce qui concerne la lutte contre le blanchiment de capitaux et la protection des investisseurs.
En outre, malgré la volonté affichée par le gouvernement, le développement des ICO connaît en pratique deux freins : celui de la fiscalité, d’une part, celui de l’accès aux comptes bancaires pour les émetteurs de jetons, d’autre part.
Le frein lié à l’absence d’une règle fiscale claire
Il n’existe toujours pas de règle fiscale claire, ce qui empêche en particulier les émetteurs de jetons, de connaître le traitement fiscal de ces derniers.
En effet, l’imposition des ventes et des gains, en fonction du type de jeton émis mais aussi du moment considéré, entraîne de nombreuses questions tant pour l’émetteur que pour l’investisseur.
Pour ce qui relève des gains, par exemple, une instruction fiscale de juillet 2014 prévoyait l’application potentielle de deux régimes. Une décision du Conseil d’Etat du 26 avril 2018 a prononcé l’annulation de cette instruction, pour préférer l’application d’un troisième régime, en réservant néanmoins l’application des deux autres dans certains cas…
Un amendement déposé par Eric Woerth au projet de loi de finances (PLF) pour 2019 devait permettre de simplifier ce sujet par l’application du prélèvement forfaitaire unique sur le gain net retiré de la cession d’un actif. Toutefois, cet amendement a été rejeté en attente de la mise en œuvre de la loi PACTE. Pierre Person, député de Paris et rapporteur de la mission d’information sur les crypto-actifs a néanmoins confirmé l’application de ce dispositif à compter de 2019 et précisé que des amendements relatifs au régime fiscal lié à la détention des crypto-actifs devraient voir le jour en deuxième partie du PLF 2019.
On notera également les questions tout aussi importantes de l’application de la TVA à certains flux et du traitement des opérations de reventes sur le marché secondaire.
Le frein lié aux difficultés rencontrées pour ouvrir un compte bancaire
Selon le rapport de la commission chargée d’examiner le projet de loi PACTE, aucun acteur de la blockchain n’arriverait à ouvrir un compte bancaire en France. Cette frilosité des établissements bancaires français trouverait en partie son explication dans l’extraterritorialité de la réglementation américaine sur le contrôle des actifs étrangers.
Il est vrai que l’OFAC (Office of Foreign Assets Control) a actualisé récemment ses règles de compliance pour y inclure les crypto-monnaies. Aux Etats-Unis, les transactions en crypto-monnaies doivent désormais respecter les mêmes règles de compliance que les monnaies traditionnelles, sous peine de sanctions.
L’OFAC prévoit également d’ajouter à la liste des Etats et personnes avec lesquels il est interdit d’avoir des relations d’affaires (Specially Designated Nationals And Blocked Persons) les adresses des crypto-monnaies à éviter tout en précisant que « cette liste n’a pas vocation à être exhaustive » et qu’il convient de prendre les précautions nécessaires pour bloquer la transaction si l’adresse n’est pas sûre.
On peut alors comprendre que les établissements bancaires français ne soient pas dans de bonnes dispositions face à tant d’incertitudes. Rappelons que dans d’autres circonstances, la BNP avait été condamnée en 2014 au paiement d’une amende de 7,9 milliards d’euros pour non-respect des règles édictées par l’OFAC.
Ainsi, bien que le projet de loi ne prévoie à l’origine aucune disposition relative à l’ouverture de comptes bancaires, il a fait l’objet d’un amendement en vue d’imposer à la Caisse des dépôts et consignations l’ouverture d’un compte dans ses livres « en cas de difficulté persistante d’accès à des services de dépôt et de paiement dans les établissements de crédit ».
Cette solution peut surprendre. En effet, le législateur aurait pu préférer étendre aux émetteurs de crypto-monnaies la procédure applicable en matière de droit au compte bancaire. La solution proposée vise peut-être à éviter qu’une banque française désignée d’office par la Banque de France ne se retrouve sanctionnée par les institutions américaines.
Notons, quoi qu’il en soit, que la Caisse des dépôts et consignations ne devrait intervenir qu’à titre subsidiaire. En effet, dans sa rédaction actuelle, le projet de loi PACTE prévoit que les établissements de crédit mettent en place des règles objectives, non discriminatoires et proportionnées, pour régir l’accès des émetteurs de jetons ayant obtenu le visa de l’AMF. Si cet accès est refusé, les raisons de ce refus devront être communiquées à l’AMF et à l’ACPR.
Malgré ces garde-fous, la Caisse des dépôts et consignations a fait savoir qu’elle était hostile à cette nouvelle responsabilité, considérant qu’elle n’est pas une banque de détail et qu’elle ne peut pas faire courir à l’épargne des français, les risques induits par l’opacité et la volatilité des crypto-monnaies.
Les prochains mois seront donc déterminants. En fonction des solutions finalement adoptées par le Parlement, tant d’un point de vue juridique que fiscal, la volonté affichée du gouvernement de faire de la France une place attractive pour les ICO pourra être validée… ou pas.
Vincent Maurel, Avocat Associé, avec Arthur Boutemy et François Warcollier, Avocats chez Fidal