Les coulisses émotionnelles de la transmission d'entreprise

Création et cession
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Une tribune d'Olivier Meier, professeur des Universités, et Martine Story, fondatrice du cabinet Althéo.

La transmission d'entreprise peut être un processus émotionnellement complexe, impliquant un travail de deuil pour le cédant. Pouvez-vous expliquer comment le cédant traverse ces étapes de deuil et quel impact cela peut avoir sur la transaction ?

Olivier Meier : Absolument, la transmission d'entreprise est souvent un voyage émotionnel intense pour le cédant. Tout d'abord, il peut passer par une phase de déni, où il ne veut pas reconnaître la nécessité de vendre ou de se retirer. Cela peut entraîner des retards dans le processus de cession et des frustrations pour toutes les parties impliquées. Ensuite, la colère peut surgir, car le cédant peut se sentir contraint de céder son entreprise, parfois sous la pression de la famille ou des circonstances économiques. Cela peut également avoir un impact sur les négociations, car le dirigeant peut adopter une position intransigeante. Le marchandage survient lorsqu’il tente de trouver des compromis pour préserver certains aspects de son ancienne vie professionnelle. Cela peut se traduire par des demandes financières excessives ou des clauses contractuelles complexes dans la transaction. La dépression peut être particulièrement difficile, car le dirigeant peut ressentir un profond sentiment de perte et d'incertitude quant à l'avenir. Cela peut créer des défis pour le repreneur en termes de gestion des émotions du cédant et de maintien de la transaction sur la bonne voie. Enfin, l'acceptation est l'étape où le cédant commence à trouver un sens à la transition et à envisager la vie après la cession. Pour le repreneur, il est essentiel d'apporter un soutien émotionnel et d'être compréhensif tout au long de ce processus, pour faciliter une transition en douceur.

Martine Story : Il est important de comprendre que les étapes du deuil du cédant sont hautement subjectives et peuvent varier considérablement en intensité et en durée d'une personne à l'autre. Certains cédants peuvent traverser ces étapes relativement rapidement, tandis que d'autres peuvent s'y attarder pendant une période prolongée. En tant que repreneur, il est crucial de faire preuve de patience et d'empathie tout au long du processus de transmission. Lorsque le dirigeant est profondément attaché à son entreprise, qu'il l'a fondée ou qu'il l'a vu grandir au fil des générations, le processus de détachement peut être particulièrement difficile. Il peut éprouver un fort sentiment de perte, de nostalgie et d'incertitude quant à son avenir. Ces émotions peuvent parfois s'exprimer de manière irrationnelle, ce qui peut être déconcertant pour le repreneur. Pour maintenir une communication ouverte et favoriser un climat de confiance pendant la transaction, le repreneur doit être prêt à écouter activement les préoccupations du cédant. Il est important de reconnaître et de valider les émotions du dirigeant, même si elles semblent irrationnelles. En montrant de l'empathie et en faisant preuve de compréhension, le repreneur peut contribuer à apaiser les inquiétudes du vendeur. Dans certains cas, il peut être bénéfique de faire appel à un médiateur, un coach ou un conseiller en gestion du changement pour faciliter ce processus. Ces professionnels sont formés pour aider les individus à traverser des transitions difficiles en fournissant un espace neutre pour la communication et en proposant des stratégies pour gérer les émotions liées au changement.

Le repreneur, anciennement salarié, peut traverser également une période de transition émotionnelle en quittant le salariat pour devenir le nouveau patron. Comment cela peut-il influencer la manière dont il gère l'entreprise après la reprise ?

Olivier Meier : La transition du repreneur du statut de salarié à celui de dirigeant peut également être une expérience émotionnellement chargée. Souvent, le repreneur ressent une euphorie initiale en prenant les rênes de l'entreprise, d’où le risque d’hubris, souvent analysé dans les travaux sur les fusions-acquisitions. Il se sent investi d'un nouveau pouvoir et d'une nouvelle responsabilité, ce qui peut le pousser à prendre des décisions rapides et parfois impulsives. Cette phase d'euphorie peut être dangereuse si le repreneur ne prend pas le temps de comprendre pleinement l'entreprise qu'il a acquise. Il peut être tenté de mettre en œuvre des changements majeurs sans tenir compte de la culture d'entreprise existante ou des attentes des salariés.

Martine Story : C'est pourquoi il est essentiel pour le repreneur de mener son propre travail de deuil vis-à-vis de son ancien emploi et d’accepter pleinement sa nouvelle mission. Il doit reconnaître que son rôle a changé (changement de statut et de positionnement, redistribution des cartes de pouvoir), qu'il n'est plus un salarié, mais le leader de l'entreprise, avec ce que cela implique en termes de représentations sociales et de responsabilités. Cela nécessite une période d'adaptation et d'apprentissage, ainsi qu'une écoute active des employés et de l'équipe de direction.

Les collaborateurs de l'entreprise sont également affectés par la transition. Comment le repreneur peut-il gérer efficacement le deuil des collaborateurs et faciliter leur acceptation du nouveau leadership ?

Olivier Meier : Les collaborateurs jouent un rôle crucial dans le succès de la transition. Ils ont souvent des liens forts avec l'ancien dirigeant et peuvent être réticents à accepter un nouveau leadership. Le repreneur doit être conscient de cette dynamique. Il est donc essentiel que le repreneur adopte une approche méthodique et empathique envers les collaborateurs (écoute, attention, interactions). Diriger une entreprise qui vient d’être vendue présente un réel défi et demande par conséquent du temps (processus graduel). Le repreneur doit reconnaître la loyauté et les compétences des employés actuels, tout en introduisant progressivement sa propre vision et ses objectifs.

Martine Story : Il est également important pour le repreneur de travailler en étroite collaboration avec l'ancien dirigeant, surtout si celui-ci reste dans l'entreprise pendant une période de transition. L'ancien dirigeant joue en effet un rôle-clé pour légitimer le nouveau leadership et rassurer les collaborateurs. En fin de compte, la patience, la communication ouverte et la compréhension des émotions des collaborateurs sont essentielles pour réussir la transition en douceur. Le repreneur doit intégrer une dimension de coach et de psychologue qui guide l'entreprise pendant cette période de changements, tout en préservant la stabilité et la motivation des équipes.