Première année de la CSRD : des rapports ambitieux mais encore en rodage

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Deloitte, vient de publier un rapport sur le retour d’expérience des cinquante premières grandes entreprises françaises (vague 1) soumises à la directive CSRD. L'étude, dévoilée le 9 avril 2025, note que les rapports de durabilité sont ambitieux, structurés et globalement conformes, malgré un contexte réglementaire complexe et un calendrier serré.

Selon Deloitte, société de conseil et d’audit, les premiers rapports CSRD publiés par les grandes entreprises françaises, entre février et avril 2025, marquent une étape décisive vers un reporting extra-financier harmonisé en Europe. Parmi les entreprises analysées, on retrouve des fleurons de secteurs variés : Danone, Axa, Renault, BNP, Vinci, Carrefour, EDF, Total Energies, Accord, Michelin, Sanofi, LVMH, Lagardère, Orange, SNCF, etc. Ainsi, ces groupes pionniers ont dû composer avec des normes européennes (ESRS) encore jeunes, et souvent sujettes à interprétation.

Des rapports volumineux et structurés

Deloitte note un effort significatif dans la mise en forme des rapports : en moyenne, un état de durabilité compte 156 pages, et plus de 90 % des publications respectent les quatre parties imposées par les normes ESRS. Près de 70 % des entreprises ont ajouté des annexes techniques, tandis que 96 % recourent à des infographies pour faciliter la lecture. La chaîne de valeur est illustrée dans 80 % des cas, le plus souvent via des schémas clairs.

Si l’incorporation par référence aux documents d’enregistrement universels (URD) est fréquente, elle reste hétérogène, oscillant entre renvois explicites et simples mentions.

Audits de durabilité : pas de réserves, mais de nombreuses remarques

Aucune entreprise du panel sondé n’a reçu de réserve de ses commissaires aux comptes. Mais la très grande majorité des rapports de durabilité fait l’objet d’observations, principalement liées aux limites inhérentes à cette première année (périmètre incomplet, données estimées, etc.). Ainsi :

  • • 96 % contiennent au moins une observation sur les ESRS
  • • 68 % sur la double matérialité
  • • 30 % sur la taxonomie, notamment en lien avec le DNSH Pollution ou les estimations financières

Double matérialité : un exercice parfois flou

L’analyse de double matérialité (DMA), qui exige d’évaluer à la fois l’impact des enjeux ESG sur l’entreprise et celui de l’entreprise sur la société et l’environnement, reste un défi pour les multinationales. En moyenne, les entreprises identifient 8 normes thématiques matérielles, avec des écarts notables selon les secteurs. Toutefois, 46 % seulement publient leur méthodologie de scoring (seuils, échelles, pondérations), et les formats varient fortement : 62 % en tableau, 12 % en matrice, 18 % mêlent les deux.

Certaines entreprises présentent jusqu’à 199 IROs (impacts, risques, opportunités), contre seulement 14 dans la banque, illustrant une forte hétérogénéité sectorielle.

Environnement : des trajectoires plus visibles, mais encore lacunaires

Sur le volet environnemental, le rapport relève des progrès significatifs. Ainsi, 84 % des entreprises publient un plan de transition climatique (E1-1), dont 88 % sont validés SBTi. Ces plans intègrent dans 96 % des cas des leviers de décarbonation chiffrés et dans 95 % des plans d’actions concrets.

Côté investissements, 2/3 publient les CAPEX associés à leur plan climat dont 70 % en montants réels et 30 % en montants estimés.

La thématique de la pollution est déclarée comme « matérielle » par près de 62 % des entreprises, mais les indicateurs restent limités : 26 % publient des métriques sur les substances préoccupantes (SOC), 67 % sur les substances extrêmement préoccupantes (SVHC), et seulement 4 entreprises fournissent des chiffres sur les microplastiques.

Concernant l’eau, 87 % des entreprises pour qui le sujet est jugé matériel publient des données sur leur consommation ou prélèvement. Même lorsque ce n’est pas exigé, 19 % choisissent tout de même de le faire, signe de l’importance du sujet pour les parties prenantes.

Social : une base solide, des marges de progression

La thématique sociale (ESRS S1) est largement couverte, avec une forte continuité par rapport aux anciens rapports DPEF. Parmi les chiffres clés :

  • • 92 % publient des indicateurs sur le salaire décent
  • • 88 % sur l’équité salariale
  • • 84 % sur l’écart de rémunération femmes-hommes
  • • 68 % indiquent le nombre moyen d’heures de formation
  • • 56 % déclarent le nombre de salariés en situation de handicap
  • • 36 % donnent des données sur le congé parental
  • • 44 % mentionnent les travailleurs non-salariés

Les nouveaux indicateurs sociaux sont souvent plus difficiles à produire, notamment sur les rémunérations, en raison d’un manque d’harmonisation des méthodes et de la disponibilité des données.

Gouvernance : la dimension ESG encore très top-down

Les enjeux de gouvernance restent principalement concentrés au sommet de l’entreprise. Si 92 % des entreprises intègrent des critères ESG dans la rémunération de leur CEO, cette proportion tombe à 78 % pour les cadres dirigeants et à 56 % pour l’ensemble des salariés.

Le poids moyen des critères ESG dans la rémunération à court terme du CEO varie fortement selon les secteurs : 33 % dans la construction, 29 % dans l’automobile, mais seulement 8 % dans la pharmacie.

Taxonomie : des écarts marqués entre secteurs

Quant à la taxonomie européenne, elle souffre encore de fortes disparités sectorielles, avec des difficultés méthodologiques persistantes pour établir l’éligibilité et l’alignement des activités.

Les chiffres du sondage indiquent donc des pourcentages moyens d’activités variables selon les secteurs :

  • • Immobilier : 95 % de CAPEX éligibles, 68 % alignés
  • • Énergie : 73 % éligibles, 45 % alignés
  • • Industrie : 41 % éligibles, 22 % alignés
  • • Luxe : 36 % éligibles, 12 % alignés
  • • Pharmaceutique : 74 % éligibles, 7 % alignés

Une dynamique prometteuse pour les vagues suivantes

Le verdict de Deloitte est clair : la première vague de reporting CSRD est globalement réussie. Elle illustre le haut niveau de préparation des grandes entreprises françaises. Mais pour transformer ce reporting en véritable outil de pilotage de la transition, des progrès restent attendus — notamment en termes de comparabilité, de clarté des méthodologies et de rationalisation des rapports.

Les enseignements de cette première vague seront précieux pour les entreprises de la "vague 2", attendues finalement, avec la réforme de la CSRD à partir de 2028 (initialement 2026).

Au final, pour les auteurs, la CSRD ne se résume pas à une contrainte réglementaire, elle reste une opportunité de structurer durablement la stratégie ESG des entreprises.

Retrouvez l'étude complète ici 

Samorya Wilson