Capital-risque français : les investisseurs trient, l'amorçage trinque

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Le baromètre semestriel d’In Extenso Innovation Croissance, en partenariat avec l’ESSEC Business School et France Angels publié le 15 juillet dernier, affiche une recomposition stratégique du capital-risque français au premier semestre 2025 : moins d’opérations, plus de sélectivité et une concentration sur les secteurs d’excellence.

Au regard du baromètre semestriel d’In Extenso Innovation Croissance, une situation contrastée du capital-risque français et européen au premier semestre 2025 est en marche : recul marqué des levées de fonds, recentrage sur les scale-ups et concentration sur les secteurs stratégiques comme l’IA, la santé ou la défense.

Une chute brutale en France, un ralentissement maîtrisé en Europe

Le capital-risque français a connu un décrochage spectaculaire au premier semestre 2025 : -60 % d’opérations et -34 % en montants levés par rapport à 2024, soit 236 deals pour 2,9 Md€. En cause, une contraction violente de l’amorçage et l’absence de méga-deals supérieurs à 100 M€. À l’échelle européenne, le repli est plus modéré (-12 % en valeur, -44 % en volume), mais la tendance reste similaire : recentrage vers les scale-ups et les secteurs stratégiques.

En France, 65 % des montants levés sont concentrés sur les séries B et plus, avec des tickets moyens en forte hausse (12,3 M€, +64 %). Des entreprises comme Bioptimus (41 M€), Veesion (38 M€) ou SafeHeal (35 M€) en sont les figures de proue.

L’IA en tête de gondole, les autres secteurs en retrait

L’IA s’impose comme le secteur roi, captant à elle seule près d’un quart des montants levés en France et 30% des deals européens (50 % à l’échelle mondiale). Les opérations françaises notables incluent Bioptimus (41 M€ en IA biomédicale), Veesion (38 M€ en retail intelligence) et Maki (26 M€ en IA RH). Ces montants restent toutefois éloignés des méga-levées de 2024 (500 M€ pour Mistral AI et Poolside AI), marquant une forme de consolidation qualitative du secteur. À l'échelle mondiale, l'IA a mobilisé 122 milliards d'euros (+120%), portée par des géants américains comme xAI (6 Md$) et Anthropic (4 Md$).

À l’inverse, la fintech, les cleantech (hors quelques exceptions comme Solveo Énergies – 98 M€) et les modèles capitalistiques lourds peinent à attirer les investisseurs. Les levées en santé reculent en nombre, mais se recentrent sur des projets cliniquement robustes comme Volta Medical ou Coave Therapeutics.

L’amorçage, maillon faible du financement

Le segment early-stage est le grand perdant du semestre. La chute des levées d’amorçage (-42 % au T2) souligne un risque de décrochage structurel. Sans la mobilisation de Bpifrance, des SATT, de French Tech Seed et des Business Angels, l’écosystème serait à l’arrêt.

« En France, le financement des premières étapes de la vie d’une startup devient un véritable parcours d’obstacles », alerte Nicolas Landrin, directeur exécutif à l’ESSEC. De son côté, France Angels note une résilience hétérogène de ses réseaux, avec de fortes disparités selon les régions et secteurs.

 États-Unis et Asie : des signaux de reprise

Outre-Atlantique, le capital-risque reprend timidement des couleurs avec 84,3 Md$ levés (+3,2 %), porté par des opérations géantes dans l’IA (xAI, Anthropic) et la défense (Anduril). Le marché américain bénéficie également d’un retour partiel de la liquidité via les IPOs tech (31 Md$ levés au S1).

L’Asie, de son côté, stabilise ses investissements grâce à l’activisme de ses fonds souverains, en particulier sur les secteurs deeptech et industriels. Elle joue un rôle croissant dans les co-investissements européens (ex : Tekever, Helsing).

Un risque de fracture stratégique

Face à ce contexte, les analystes d’In Extenso et de l’ESSEC plaident pour un renforcement du continuum de financement. Objectif : éviter un écosystème à deux vitesses, dominé par une poignée de champions financés et un vivier de startups en difficulté.

« Il faut soutenir les fonds early-stage, accélérer l’investissement dans les priorités stratégiques (IA, climat, cybersécurité) et fluidifier les dispositifs publics », insiste Nicolas Forey, président d’In Extenso Innovation Croissance.

Perspectives pour le second semestre

Plusieurs facteurs pourraient inverser la tendance au second semestre 2025 : une détente monétaire progressive (BCE, Fed), la reprise des IPOs (31 Md$ levés mondialement au S1, le plus haut niveau depuis 2021), et une clarification des dispositifs publics français.

L'enjeu reste de transformer cette période d'adaptation en dynamique de reconstruction, en garantissant un continuum de financement du pré-amorçage à l'industrialisation. Sans cette fluidité, l'écosystème risque de se fragmenter entre quelques champions hyper-financés et un tissu de startups fragilisées.

Samorya Wilson