Face à l’essor du capital-investissement dans les cabinets comptables à travers le monde, l’International Ethics Standards Board for Accountants (IESBA) alerte sur les risques éthiques et d’indépendance que ce phénomène engendre. Dans un avis publié le 31 juillet dernier, l’organisme invite les dirigeants de cabinets à une vigilance accrue afin de préserver l’intégrité de la profession.
L'investissement en capital-investissement dans les cabinets comptables a connu une progression « significative » ces cinq dernières années, selon l'IESBA (l'International Ethics Standards Board for Accountants). Cette source de financement attire les cabinets pour soutenir leur croissance, moderniser leurs technologies, planifier leurs successions ou recruter des talents. De leur côté, les fonds de private equity y voient l'opportunité d'investir dans des entreprises stables et rentables, avec un potentiel de rendement attractif.
Cependant, cette évolution structurelle du secteur ne va pas sans risques. L'IESBA souligne que ces investissements « peuvent introduire une variété de changements dans un cabinet, notamment structurels, stratégiques et opérationnels » qui complexifient considérablement le respect du Code international de déontologie.
Des menaces éthiques multiples
Le Code international de déontologie des experts-comptables impose le respect de principes fondamentaux tels que l’intégrité, la compétence, la confidentialité ou encore le comportement professionnel.
Or, l’arrivée de fonds d’investissement peut fragiliser ces piliers en raison de ces risques :
- Confidentialité compromise : une implication trop forte des investisseurs peut exposer des données sensibles de clients.
- Culture éthique affaiblie : restructurations rapides, recherche de croissance à court terme et incitations financières risquent de supplanter les valeurs professionnelles.
- Pressions indécentes : la quête de rentabilité peut pousser à accepter des clients risqués ou à privilégier des objectifs de revenus au détriment de l’intérêt public.
L'indépendance en question
L’indépendance, cœur de la mission d’audit, est également en jeu. L’IESBA identifie plusieurs points de vigilance :
- • Participation majoritaire des fonds : si un fonds contrôle un cabinet tout en détenant des intérêts financiers dans ses clients, un conflit majeur d’indépendance apparaît.
- • Réseaux complexes : la constitution de groupes mêlant audit et conseil accroît la difficulté d’identifier toutes les entités liées, avec un risque de brouillage des frontières.
- • Influence des investisseurs sur l’audit : si des responsables du fonds participent à la supervision ou à la rémunération des associés auditeurs, ils peuvent être considérés comme membres de l’équipe d’audit, soumis aux mêmes règles strictes d’indépendance.
Des recommandations pragmatiques pour les cabinets
Face à ces défis, l'IESBA formule plusieurs recommandations concrètes. Les dirigeants de cabinets doivent d'abord effectuer une due diligence approfondie pour « comprendre les intentions, les plans stratégiques et opérationnels, et les valeurs de l'organisation de private equity ».
L’organisme conseille aussi de renforcer la gouvernance en s’assurant du respect des lois et codes de gouvernance locaux.
Il convient également de protéger la confidentialité via des garde-fous explicites limitant l’accès des investisseurs aux données clients.
Les cabinets sont aussi invités à maintenir une vigilance constante après l'investissement, car la période post-investissement peut apporter des « changements significatifs » qui doivent être étroitement surveillés.
De plus, l'IESBA prône une culture éthique forte dans les cabinets, capable de résister aux pressions liées aux objectifs de rentabilité et de croissance rapide.
Au final, l'organisme recommande de rester « particulièrement attentif aux implications éthiques et d'indépendance » de ces évolutions.
Un dialogue renforcé avec les parties prenantes
L'IESBA annonce son intention de poursuivre ses échanges avec l'ensemble des acteurs concernés - cabinets, organismes professionnels, régulateurs, investisseurs et organisations de private equity - pour approfondir la réflexion sur « l'impact transformateur » de ces investissements sur la profession comptable.
Cette alerte marque une étape importante dans l'adaptation du cadre déontologique aux mutations du secteur. Elle témoigne de la volonté des régulateurs de préserver l'intégrité et l'indépendance de la profession comptable face aux nouveaux défis posés par la financiarisation croissante du secteur.
Pour les cabinets qui envisagent ou ont déjà accepté des investissements de private equity, le message de l'IESBA est clair : la croissance et la rentabilité ne doivent jamais compromettre les principes fondamentaux qui fondent la confiance du public dans la profession comptable.
Samorya Wilson
