CSRD : les grandes entreprises françaises face au défi de la durabilité

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Une étude de KPMG dresse un état des lieux inédit du reporting de durabilité des entreprises du CAC 40 et du Next 20, alors que l’Europe est en train d’alléger le dispositif CSRD. Le rapport publié le 26 juin dernier met en lumière les progrès, les défis, mais aussi les pistes d’allègement des normes ESRS.

L'année 2025 marque une étape décisive pour la transparence environnementale et sociale des entreprises européennes. Avec l'entrée en vigueur de la directive CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive), les grandes entreprises françaises ont publié leurs premiers états de durabilité selon les normes ESRS (European Sustainability Reporting Standards).

KPMG a analysé les premiers états de durabilité publiés début 2025 par 54 entreprises du CAC 40 et du Next 2O. Le cabinet en a tiré de précieux enseignements qui mettent en lumière les points forts et les axes d'amélioration du reporting extra-financier, notamment en matière de double matérialité, de décarbonation, de biodiversité et des aspects sociaux.

La double matérialité : un exercice maîtrisé malgré sa complexité

L'analyse de double matérialité, pierre angulaire du nouveau dispositif, constitue l'aspect le plus abouti de ce premier exercice. 85% des entreprises étudiées ont décrit l'ensemble des prérequis de leur analyse, tandis que 55% offrent une transparence complète sur leurs critères de cotation. Cette approche, qui consiste à évaluer à la fois les impacts de l'entreprise sur l'environnement et la société, et les risques financiers liés au développement durable, semble avoir été bien comprise par les organisations.

« L'exercice de double matérialité apparaît comme la composante la plus aboutie du reporting, preuve de son utilité concrète pour le pilotage et d'une réelle appropriation par les entreprises », souligne Ghislain Boyer, associé au Centre d'Excellence ESG de KPMG France.

Les résultats montrent une convergence notable : les normes E1 (changement climatique), S1 (conditions de travail) et G1 (conduite des affaires) sont systématiquement retenues comme matérielles, reflétant les priorités stratégiques communes aux entreprises françaises.

Décarbonation : des ambitions affichées, des défis opérationnels

Sur le volet climatique, les entreprises françaises affichent des ambitions élevées. 81% disposent de cibles de décarbonation validées par l'initiative Science Based Targets (SBTi), et 55% déclarent une trajectoire alignée sur l'objectif de 1,5°C de réchauffement.

Cependant, l'étude révèle un déséquilibre préoccupant : les efforts se concentrent massivement sur les émissions directes (scopes 1 et 2) tandis que le scope 3 - souvent le plus carboné, reste moins documenté.

Les leviers de décarbonation privilégiés illustrent cette tendance : 91% des entreprises misent sur la transition vers les énergies renouvelables, 78% sur l'efficacité énergétique, mais seulement 56% s'attaquent à la décarbonation de leur chaîne d'approvisionnement.

Biodiversité : une thématique encore émergente

La biodiversité demeure le parent pauvre de ce premier exercice. Seules deux entreprises ont publié des plans de transition biodiversité complets, et la norme E4 (biodiversité et écosystèmes) figure parmi les moins matérielles. 40% des entreprises déclarent avoir des sites dans ou à proximité de zones sensibles pour la biodiversité, mais les informations publiées restent souvent partielles.

« La mesure des impacts liés aux changements d'usage des sols reste marginale : seules deux entreprises ont amorcé une publication de données chiffrées à ce sujet », note l'étude. Cette lacune s'explique par le manque d'outils adaptés pour rendre compte des informations attendues par les normes.

Social : des fondations solides, mais des défis persistants

Les normes sociales bénéficient d'un socle plus solide, héritant des précédents exercices de reporting ESG. La norme S1 (effectifs de l'entreprise) montre un niveau de maturité avancé, avec des politiques et indicateurs bien structurés. Les données sur la diversité sont particulièrement abouties, 96% des entreprises ayant publié des informations complètes sur ce sujet.

En revanche, l'égalité salariale reste un défi : seules 59% des entreprises ont publié des données exhaustives sur l'indicateur « gender pay gap ». Plus globalement, 55% des entreprises ont communiqué des informations sur les non-salariés, malgré la complexité de cette collecte.

Vers une simplification des normes ESRS ?

Face à ces premiers constats, KPMG formule plusieurs recommandations pour simplifier les normes ESRS. Le cabinet préconise notamment de « clarifier l'évaluation de la double matérialité et aider les entreprises à ne rapporter que les informations nécessaires » et de « développer les lignes directrices sur la matérialité d'impact ».

Ces propositions s'inscrivent dans le contexte plus large de révision des normes européennes. La Commission européenne a en effet demandé à l'EFRAG (European Financial Reporting Advisory Group) de formuler des recommandations pour simplifier les ESRS dans le cadre du paquet « Omnibus ». Cette démarche répond aux retours des entreprises qui se sont plaint de la complexité excessive de certaines exigences.

Des défis d'amélioration clairement identifiés

L'étude révèle que 98% des entreprises se sont engagées à améliorer certains aspects de leur reporting, avec en moyenne plus de cinq axes d'amélioration par entreprise. Ces engagements portent principalement sur la collecte de données, l'extension des périmètres d'analyse et l'amélioration de la connectivité avec l'information financière.

« L'ampleur de ce premier exercice de reporting selon les ESRS a conduit les entreprises à se concentrer sur la collecte et la fiabilisation de données », observe Brice Javaux, associé au Centre d'Excellence ESG de KPMG France qui ajoute : « les prochaines années permettront aux entreprises de construire un récit ESG cohérent, fondé sur une meilleure articulation entre stratégie, gouvernance et performance durable ».

Cette première année de reporting CSRD dessine les contours d'une transformation profonde du reporting d'entreprise. Si les défis sont nombreux, l'appropriation progressive des nouvelles exigences par les entreprises françaises laisse présager une montée en puissance de la qualité et de la pertinence de l'information de durabilité dans les années à venir.

Samorya Wilson