Xerfi vient de publier une étude sous le titre : « Le marché de la paie entre révolutions technologiques et consolidation – Perspectives à l’horizon 2026, stratégies des acteurs et mutations du jeu concurrentiel ». Trois questions à Alexandre Boulègue, directeur du bureau d'études chez Xerfi et auteur du rapport.
Quelles évolutions attendre du marché de la paie ?
Précisons en préambule que nous avons retenu comme périmètre pour le marché de la paie deux activités principales. D’une part, l’édition de logiciels de gestion de la paie destinés aux équipes des ressources humaines pour les entreprises et autres administrations et d’autre part, la production de bulletins de salaires (et documents associés) en sous-traitance pour le compte des organisations publiques et privées.
Le marché de l’externalisation de la paie représenterait entre 1,2 milliard et 2 milliards d’euros en France (selon le taux d’externalisation retenu de 15 % à 25 %). Plus dynamique, la partie logicielle a, elle, bénéficié de la transition des logiciels on-premise, vendus via des licences, vers des solutions SaaS, commercialisées souvent par abonnement. Elle est dominée en France par quatre principaux éditeurs (ADP, Sage, Cegid et Silae). D’ici 2026, le marché de l’externalisation de la paie atteindra 2,3 milliards d’euros (en croissance de 3 % par an), selon notre hypothèse haute. Il profitera surtout d’une hausse de la population active en emploi, grâce au moteur démographique et à un taux d’activité renforcé des seniors. L’effet inflationniste sera plus limité à moyen terme dans un secteur toujours concurrentiel. Avec une conjoncture économique moins favorable et un contexte financier moins porteur, la progression du chiffre d’affaires de notre échantillon d’éditeurs et d’ESN SIRH va légèrement ralentir mais restera forte, avec une hausse de 6 % par an en moyenne d’ici 2026. Les besoins des entreprises resteront en effet importants avec de nombreux projets de renouvellement. Le segment des TPE-PME, plus faiblement équipées, dispose d’une marge de progression. Les nouvelles technologies (IA, RPA, etc.) favoriseront par ailleurs les innovations et l’enrichissement de l’offre des éditeurs.
Comment s’organise le paysage concurrentiel ?
La filière s’organise autour de plusieurs profils d’acteurs : les éditeurs de logiciels qui fournissent les solutions de gestion de la paie, de façon directe ou indirecte (via des intégrateurs, revendeurs, etc.), les prestataires d’externalisation (spécialistes de la paie, cabinets d’expertise comptable, ESN...) et les ESN SIRH qui sont des acteurs intégrés proposant à la fois des logiciels et des services d’externalisation (partielle ou complète).
Le développement du cloud computing a poussé les éditeurs de logiciels à développer des solutions accessibles en ligne dites SaaS. Cela a modifié le modèle économique des éditeurs et les rapports de force au sein de la filière. Ayant des relations plus directes avec les clients finaux, les fournisseurs de logiciels se retrouvent en position de force pour faire valoir leurs conditions aux revendeurs, intégrateurs et prestataires. Conséquence notamment de l’essor du SaaS, la porosité entre les métiers, et donc entre les profils d’opérateurs, est de plus en plus grande. Des acteurs de l’externalisation ont ainsi développé leur propre outil de gestion de la paie (In Extenso, Fiducial...) tandis que certains éditeurs de logiciels proposent des prestations d’externalisation.
L’espace concurrentiel n’est donc pas figé. Aujourd’hui, un quatuor - composé des leaders mondiaux ADP (USA) et Sage (UK) ainsi que des groupes français Cegid et Silae - domine le marché français de l’édition de logiciels de paie. Les principaux challengers sont l’Allemand SAP (leader dans les ERP), les Français Sopra Steria (à la fois ESN et éditeur via Sopra HR Software), Cegedim (via Cegedim SRH, très présent dans la santé et le médico-social), ainsi que Nibelis (spécialiste tricolore du SIRH en cloud). Des nouveaux entrants entretiennent en outre la concurrence sur le marché des logiciels de paie. Il peut s’agir de startups françaises qui s’attaquent au secteur, comme PayFit ou WeeKEra, ou de groupes étrangers qui se déploient en Europe et dans l’Hexagone, comme Workday ou Remote. Les réseaux d’experts-comptables sont des acteurs importants du marché de l’externalisation de la paie. Les « Big Four » sont présents, surtout KPMG. D’autres réseaux sont très actifs comme In Extenso, Fiducial (qui édite son propre logiciel dédié WinFip+) ou Baker Tilly. Les cabinets en ligne (Amarris, Clementine, Naolink, Wity, etc.) proposent aussi ce type de services. Les grandes ESN (IBM, Accenture, Capgemini, etc.) ne sont pas en reste sur le marché du BPO paie, qui s’inscrit dans la continuité de leurs prestations d’externalisation IT. Enfin, des cabinets sont spécialisés dans l’externalisation de la paie, comme Paie & RH Solutions, Expert RH et Servi-paies. Globalement ces cabinets spécialisés interviennent surtout localement pour les TPE-PME ou en sous-traitance des cabinets d’experts-comptables.
Outre la digitalisation, quelles sont les stratégies à l’œuvre sur ce marché ?
Fonction chronophage et répétitive, la gestion de la paie est en effet la fonction RH la plus fortement digitalisée. La dématérialisation des bulletins de salaire a bien avancé. Sécurité des données, conformité réglementaire et réduction des erreurs sont les priorités des responsables de paie. L’externalisation reste l’exception plutôt que la règle, mais la paie est également la mission RH la plus sous-traitée. Les centres de services partagés (CSP) constituent une alternative et un levier d’optimisation de la fonction paie.
Ceci étant dit, sur un marché très concurrentiel et avec peu de marges de différenciation, les acteurs de la paie essayent d’augmenter leurs parts de marché avec des stratégies offensives. Ils misent, d’une part, sur la croissance organique avec notamment des investissements marketing, commerciaux, publicitaires et en communication et, d’autre part, sur la croissance externe. Certains acteurs du marché de la paie veulent par ailleurs diversifier leur clientèle, en termes de taille d’entreprise ou sur le plan sectoriel. De plus en plus d’éditeurs de logiciels s’inscrivent plus largement dans une stratégie de « guichet unique » en matière de SIRH. Ils développent ainsi leur portefeuille de solutions par des acquisitions (Silae, Septeo...) ou de marketplaces (Sopra Steria, Lucca...) pour proposer de nouvelles offres et services à leurs clients. En outre, les fournisseurs de solutions de gestion de la paie poursuivent leurs investissements technologiques pour se mettre à niveau (cloud, automatisation, IA...).
Pour assouvir leurs ambitions, les acteurs du marché de la paie sont néanmoins confrontés au défi du recrutement. Ceux de l’externalisation doivent faire des efforts sur les rémunérations, la marque employeur ou les conditions de travail pour attirer des professionnels de la paie, qui font aujourd’hui cruellement défaut. Les éditeurs de logiciels doivent, eux, être compétitifs sur les salaires et avantages divers pour embaucher des profils techniques. Enfin, le développement international reste une priorité chez certains, à l’image de HR Path qui s’est implanté dans un vingtième pays (le Portugal) ou du groupe belge SD Worx qui veut s’imposer en Europe. Mais la mission n’est pas exempte de risques et de difficultés, comme le démontre la réduction des effectifs en Allemagne et en Espagne chez PayFit au printemps 2023.