La Centrale 45-2, think tank créé et animé par l'éditeur Cegid, a publié un rapport sur la prise en compte des critères RSE par les cabinets d'expertise comptable, à la fois en tant qu'entreprises mais aussi dans leurs missions de conseil auprès de leurs clients. François Millo, directeur de la BU experts-comptables de Cegid, fait partie des contributeurs du rapport. Il répond à nos questions sur ce sujet de la RSE dans les cabinets d'expertise comptable.
Le rapport analyse l'acceptation et la résistance à la RSE dans les cabinets d'expertise comptable. Quels sont les principaux constats effectués à cet égard ?
Au préalable, je voudrais mettre en exergue les résultats d’une enquête d’avril 2023 de l’OMECA qui nous enseigne que pour six cabinets sur dix, la transition environnementale est un enjeu à trois-cinq ans. Cela reflète parfaitement leur implication qui s’appuie sur trois ressorts essentiels.
Au premier chef, il y a bien entendu l’appétence à participer au bien commun tant sur le plan social, que sociétal et environnemental, exacerbée par la succession de crises climatiques. Une appétence consubstantielle aux professionnels du chiffre, de par leur déontologie et leur sentiment de participer à une mission d’intérêt général économique.
Ensuite, l’enquête révèle que cette conscience est partagée par les collaborateurs. Avec de jeunes générations en quête de sens, y compris dans le cadre de leur activité professionnelle. Ce sens existe fondamentalement à travers l’activité d’un cabinet : aider les entreprises à se développer, à créer des richesses et de l’emploi. Je trouve qu’il n’est pas suffisamment mis en avant. Si on peut y ajouter une dimension RSE, alors l’attractivité du métier s’en trouvera accrue. Et nous savons à quel point les cabinets désirent renforcer leur attractivité.
Enfin, parce que de plus en plus d’entreprises clientes veulent ou doivent mettre en place des politiques RSE et ce, quelle que soit leur taille. Ceci constitue donc une source non négligeable de nouvelles missions.
Il existe cependant des freins. Les principaux tiennent au manque de ressources et à la gestion des urgences. En effet, les cabinets en tant que garants de la conformité mais également comme « médecins généralistes » de l’entreprise, doivent implémenter sans cesse de nouvelles réglementations, respecter les délais, aider les entreprises face aux difficultés qu’elles rencontrent. La période du Covid a été, de ce point de vue, symptomatique. Et, disons-le, héroïque ! Si l’économie a tenu, nous le devons beaucoup à la profession. La mise en œuvre d’une démarche RSE peut alors paraître moins urgente mais ce serait une erreur.
S’agissant des ressources, la profession fait face à une pénurie de main d’œuvre. Elle manque parfois de bras pour s’emparer pleinement de ce sujet ou de temps pour former les collaborateurs afin d’élaborer une stratégie et une offre de mission structurée.
Enfin, pour elle-même, s’agissant d’une profession appartenant au secteur tertiaire, l’impact environnemental peut sembler moins prégnant.
Selon le rapport, la RSE offre de multiples opportunités aux cabinets d'expertise comptable. Quelles sont-elles ?
La facturation électronique, l’automatisation et la productivité induites doivent permettre aux cabinets de gagner du temps, d’étoffer leur offre et ainsi de renforcer leur valeur. C’est d’ailleurs ce que pensent 42 % des cabinets selon l’enquête réalisée par le CNOEC lors du 78ème Congrès, qui envisagent de se positionner sur la RSE.
C’est d’autant plus opportun que les professionnels du chiffre sont les mieux placés. En effet, pour éviter toute suspicion de green ou de social washing, les entreprises doivent pouvoir se reposer sur des professionnels éthiques. En d’autres termes, des tiers de confiance qui soient les garants d’une démarche fiable et sincère, que ce soit dans un rôle de conseil ou d’audit. Les entreprises doivent également pouvoir s’appuyer sur des professionnels qui connaissent l’entreprise et ses problématiques, qui sachent avec efficacité et discernement aller chercher les informations au cœur du système d’information, les donner à voir et formuler des recommandations atteignables. De ce point de vue d’ailleurs, que ce soit en matière sociale, sociétale ou environnementale, les cabinets traitent et structurent de plus en plus de données qui viendront alimenter les rapports de performance extra-financiers.
Cette opportunité est d’autant plus perceptible que les contraintes se précisent, notamment sous l’impulsion de la directive européenne CSRD qui s’appliquera progressivement entre 2024 et 2028. Cette pression ressort également du financement, des appels d’offres, de la sous-traitance, de la marque employeur... Ces contraintes se diffusent ainsi indirectement à tout un écosystème auquel prennent part de nombreuses TPE-PME fournisseurs potentiels de grandes entreprises soumises à la CSRD.
Toujours d'après l'étude, la RSE implique un changement de positionnement pour les cabinets d'expertise comptable. Pouvez-vous nous expliquer cela ?
Se positionner sur la RSE, c’est d’abord se positionner pour soi-même, pour son propre cabinet, avec un bénéfice « test and learn » et une crédibilité accrue. Et puis, c’est se positionner sur son marché avec une offre claire et des moyens notamment en termes de ressources humaines, de données, de connaissances réglementaires, de techniques et de communication.
De manière globale, la profession a une force : son intelligence collective ! A travers les institutions, les associations professionnelles, les réseaux, elle a cette capacité si singulière à mobiliser les savoirs et les énergies pour réussir. Et notre devoir d’éditeurs et de fournisseurs, c’est de tout faire pour que cela devienne possible ! C’est le sens de l’annonce de Cegid concernant le projet de data lake de la profession confié à ECMA, satellite de l’Ordre des experts-comptables accompagnant les professionnels dans leur évolution numérique.