Xerfi vient de publier une étude sous le titre : « Les ripostes des acteurs de l’expertise comptable et de l’audit pour affronter l’après-crise. Perspectives de croissance à l’horizon 2022 et évolutions du jeu concurrentiel à moyen terme ». Trois questions à Aurélien Vernet, chargé d’études chez Xerfi.
Comment se présente l’après-crise pour les professionnels du chiffre en France ?
Le choc d’ampleur inédite sur la demande généré par la crise sanitaire n’épargnera pas les marchés de l’expertise comptable et de l’audit. Habitués à une croissance moyenne de leur activité supérieure à 3 % par an, les professionnels du chiffre vont affronter une sérieuse tempête. Le contexte macroéconomique durablement dégradé, les nombreuses défaillances à venir des entreprises clientes et les pressions tarifaires accrues vont en effet peser sur leur activité. Le chiffre d’affaires des acteurs devrait ainsi céder 0,5 % au cours de l’exercice 2019/2020 avant de reculer de 2 % par an en 2020/2021, d’après nos estimations. Tous les professionnels ne sont pas affectés de la même façon. C’est ainsi que les grands réseaux et structures pluridisciplinaires, plus diversifiés, se montreront plus résilients. D’autant plus qu’ils ont en portefeuille des clients plus résistants comme des ETI et des grands comptes.
Au-delà de la crise, plusieurs facteurs alimentent les craintes de la profession, à commencer par la loi PACTE qui a entraîné une crise des débouchés sans précédent en relevant les seuils d’audit. Votée en mai 2019, celle-ci va peu à peu libérer entre 110 000 et 117 000 entreprises de l’obligation de certification des comptes. Cela représente une perte sèche potentielle de chiffre d’affaires de 620 millions d’euros pour les cabinets d’audit, soit un quart de la valeur du marché français de l’audit.
Le développement d’offres 100 % en ligne en général de type low cost contribue également à réduire la tenue comptable et d’autres tâches assimilées à des commodités (comme la déclaration fiscale par exemple). Cela alimente de facto les pressions déflationnistes. Quant à la désintermédiation des missions comptables de base, elle constitue une véritable menace. Certaines entreprises tech ont en effet conçu des logiciels ergonomiques et simples d’utilisation. Cela favorise la réinternalisation de la comptabilité et limite le rôle des experts-comptables aux seules missions critiques telles que la révision annuelle des comptes.
En somme, la profession est contrainte d’accélérer sa mutation ?
D’autres menaces planent et pourraient avoir des effets à plus long terme, comme le changement de mentalité des clients, l’ubérisation de la profession ou encore l’érosion de son « monopole ». Plus globalement, la crise pousse la profession à accélérer sa mutation vers les métiers du conseil aux petites et moyennes entreprises. Celle-ci est facilitée par le rôle de tiers de confiance des professionnels du chiffre et par les gains de productivité réalisés sur les métiers de la comptabilité grâce aux technologies numériques. Fin 2019, Sage s'est rapproché de Dhatim pour offrir aux experts-comptables l'offre Conciliator Expert, une solution de saisie comptable automatisée grâce à l’intelligence artificielle.
Prendre le virage du conseil et du digital implique toutefois de consentir des investissements conséquents. Or, tous les acteurs n’auront pas les moyens de leurs ambitions. Sans oublier que l’usage accru de la technologie par les métiers du chiffre rend les cabinets bien plus sensibles aux effets d’échelle. Dit autrement, la taille devient peu à peu une source d’avantage concurrentiel dans le secteur. Le risque d’une polarisation de l’offre entre les grands réseaux pluridisciplinaires et les petits cabinets est donc bien réel. Dans ce contexte, ces derniers pourraient se regrouper plus rapidement que prévu, participant de fait à la consolidation d’un secteur encore très atomisé.
La dynamique de concentration déjà à l’œuvre va-t-elle persister ?
Impulsée pour l’essentiel par les poids lourds de l’expertise comptable et de l’audit en France (Big Four, Fiducial, Cerfrance...), la dynamique de concentration entamée ces dernières années se poursuivra. Plusieurs facteurs joueront en effet à plein. D’abord, le vieillissement démographique en vigueur dans la profession contraint les associés en départ à la retraite à céder leur cabinet faute de successeur. La loi PACTE et le relèvement des seuils d’audit va encourager les cabinets de petite taille et fortement exposés à l’activité de commissariat aux comptes à se regrouper pour ne pas disparaître. Le rôle assumé de « consolidateurs » des grands cabinets qui façonneront leur environnement via la croissance externe. Ils disposent en effet d’importantes ressources financières pour racheter des cabinets de toute taille et quelle que soit leur spécialisation. Enfin, la crise liée au Covid-19 va fragiliser de nombreuses TPE-PME et par conséquent leurs experts-comptables, accélérant ainsi le processus de consolidation du secteur.