La comptabilité et les professionnels du chiffre ont un rôle de premier plan à jouer en matière environnementale. Nous avons interrogé à ce sujet le Vice-Président de l'Ordre des experts-comptables de Paris Hervé Gbego, particulièrement versé sur ces questions, qui présente notamment la méthode CARE, laquelle entend réconcilier analyse financière et développement durable.
Comptabilité et environnement semblent en première approche deux réalités assez éloignées. Quel peut être le rôle de la première au service du second ?
Il y a un premier besoin qui est de choisir un référentiel. Ainsi, pourquoi les experts-comptables doivent-ils être force de proposition pour bâtir un univers de la comptabilité environnementale et rendre celle-ci utile ? Parce que nous sommes les seuls à même de figer un référentiel pertinent dont les entreprises pourront se saisir avec confiance pour travailler.
Ce que la comptabilité peut apporter aux questions environnementales, c’est de la stabilité, c’est-à-dire stabiliser les démarches et les rendre plus pertinentes. C’est également apporter de la valeur monétaire. Beaucoup ne savent pas faire cela aujourd’hui et le savoir-faire est chez nous experts-comptables. Et c’est surtout pouvoir simplifier les reportings. Il y a une inflation de reportings divers et variés. A cet égard, la comptabilité peut unifier les sensibilités sur le sujet environnemental pour obtenir un outil unique qui permettra aux dirigeants et aux entreprises de se positionner en la matière.
Vous êtes notamment à l’origine de la méthode CARE qui entend réconcilier analyse financière et développement durable. Pouvez-vous nous en dire davantage ?
La méthode CARE, inventée par Jacques Richard, part d’un principe très simple. Seul le capital financier est géré par les experts-comptables. De là, la méthode CARE introduit les notions de capital naturel et de capital humain permettant, avec les mêmes règles comptables, d’effectuer un pilotage de ces deux capitaux aux côtés du capital financier.
La méthode CARE restructure le bilan comptable avec les trois capitaux au passif. Le capital financier représente une somme d’argent que les actionnaires mettent à la disposition de l’entreprise pour réaliser du profit. Et ce capital ne doit pas être dégradé, du moins fait-on tout pour éviter cela. Partant, la même logique s’applique aux capitaux naturel et humain. Il est mis à la disposition de l’entreprise un écosystème : l’eau, l’air, les sols… qui est utilisé pour créer de la valeur. Mais quelle que ce soit l’utilisation qui en est faite, cet écosystème ne doit pas être complètement dégradé. De même pour le capital humain : il faut respecter l’intégrité physique et psychique des personnes qui travaillent dans l’entreprise, cela n’est pas négociable.
L’idée de la méthode CARE est donc de traduire une sorte de dette écologique que l’entreprise va piloter dans le temps pour s’assurer d’une performance globale sur l’ensemble des trois capitaux.
Alors, souvent les dirigeants nous disent que cela va injecter des coûts dans l’entreprise. Certes, mais les structures les plus performantes seront celles qui auront la plus faible dette écologique possible. Car c’est cela que le marché et les parties prenantes attendent aujourd’hui : des entreprises qui créer du profit mais de façon de plus en plus vertueuse. C’est la traduction de tous ces aspects dans la comptabilité qui est en jeu avec la méthode CARE.
Et y a-t-il selon vous des pistes d’amélioration pour favoriser encore le rôle vertueux de la comptabilité au service de l’environnement ?
Avant les pistes d’amélioration, une phase d’expérimentation est nécessaire. C’est plutôt à cela que j’invite les consœurs et confrères : qu’ils expérimentent au maximum. Car c’est bien de faire des normes et de produire des concepts, mais il y a également un temps pour l’expérimentation. Je suis plutôt pour la preuve par l’exemple et il faut montrer que cela marche.
C’est à nous experts-comptables d’apporter cette preuve. Il faut se former à cette méthodologie, comprendre les enjeux puis accompagner les entreprises sur ce terrain. Et ensuite, le cas échéant, corriger les normes à la lumière des retours d’expérience.
Propos recueillis par Hugues Robert