Commentaire du décret n° 2018-1226 précisant l’ordonnance n° 2017-1674 du 8 décembre 2017 relative à l’utilisation d’un dispositif d’enregistrement électronique partagé pour la représentation et la transmission de titres financiers.
Depuis la reconnaissance du potentiel de la blockchain notamment dans le domaine du post-marché, les acteurs souhaitant en tirer profit étaient en attente de réponse législative et de sécurité juridique. Pour y répondre, le législateur français est intervenu en décembre 2017, par le biais de l’ordonnance n° 2017-1674 relative à l’utilisation d’un dispositif d’enregistrement électronique partagé (DEEP) pour la représentation et la transmission de titres financiers.
Pour permettre à cette ordonnance, pionnière en la matière, d'être opérationnelle, le décret n° 2018-1226 du 24 décembre dernier en précise les modalités d’application.
Cette réforme adapte le droit français du titre pour permettre la représentation et la transmission de certains d’entre eux au moyen d’un DEEP. Pour les titres visés, le régime établit une équivalence entre l’inscription en compte-titres et l’inscription dans un DEEP. Cette dernière, qui procède d’une décision de l’émetteur (1), devient une alternative à l’inscription en compte pour établir la propriété des titres concernés et reconnaître leur transfert (2).
Le législateur fait le choix de ne pas se référer à la blockchain. Il vise la notion plus large de DEEP, qui comprend, sans s’y limiter, celle de blockchain. Déjà cité dans l’ordonnance n° 2016-520 relative aux bons de caisse, le DEEP renvoie à certaines caractéristiques de la blockchain fondamentales pour les besoins de la présente réforme : « sa vocation de registre et son caractère partagé » (3). En restant large et neutre, elle aménage toutefois la capacité de la réforme à intégrer les développements technologiques ultérieurs potentiels, dans un domaine encore en cours d'évolution.
Sont inclus dans le périmètre de l’ordonnance uniquement les titres financiers non admis aux opérations d’un dépositaire central de titres : les titres de capital et de créance non négociés sur une plateforme de négociation, les titres de créance négociables ainsi que les parts ou actions d’organismes de placement collectif. Cette restriction tient compte des contraintes imposées par le droit européen. Celui-ci impose l’inscription en compte auprès d’un dépositaire central des titres admis sur une plateforme de négociation, excluant, pour ces derniers, la possibilité d’y substituer, en application du droit français, l’enregistrement en DEEP.
Le décret précise les conditions dans lesquelles l’équivalence entre inscription en compte-titres et en DEEP vaut. Notamment, ce dernier doit être conçu et mis en œuvre « de façon à garantir l’enregistrement et l’intégrité des inscriptions et à permettre (…) d’identifier les propriétaires des titres, la nature et le nombre de titres détenus ». Les inscriptions qui y sont réalisées doivent faire « l’objet d’un plan de continuité d’activité (…) comprenant notamment un dispositif externe de conservation périodique des données ». Le propriétaire des titres doit pouvoir disposer de relevés des opérations qui lui sont propres. En l’absence de précision dans les textes, on peut penser que l’émetteur est responsable du respect de ces exigences.
Le décret de décembre précise également les modalités selon lesquelles ces titres inscrits en DEEP peuvent faire l’objet d’un nantissement. Il introduit un régime ad hoc, distinct du nantissement de compte-titres auquel il s’ajoute. L’impact concret de cette distinction doit faire l’objet d’une analyse attentive par les acteurs désireux de recourir à ce type de sûretés.
In fine, cette réforme consacre en droit français le recours à ce que d’aucuns appellent les security tokens, dans les conditions qu’elle prévoit. Elle complète opportunément les discussions en cours sur le projet de loi PACTE relatives aux jetons utilitaires et autres actifs numériques. Selon l’issue des travaux PACTE (4), la présente réforme permettrait à la France de se doter d’un cadre unique et pionnier visant toutes les catégories de crypto-actifs identifiés en pratique.
Cette initiative de la France lui permet aussi de se positionner une nouvelle fois auprès des institutions européennes comme une juridiction de référence dans le domaine de la blockchain. Ce positionnement apparaît particulièrement opportun dans la perspective des travaux que la Commission européenne pourrait initier sur l’encadrement des crypto-actifs et le besoin éventuel d’amender le cadre européen existant pour répondre aux enjeux de la blockchain dans le domaine financier. Ces travaux pourraient notamment être l’occasion de s’interroger sur l’opportunité de permettre l’enregistrement sur un DEEP pour les titres admis sur une plateforme de négociation, aujourd’hui exclus de la présente réforme.
Franck Guiader, Matthieu Lucchesi et John Le Guen, Gide
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Notes
(1) CMF, art. L. 211-7
(2) CMF, art. L. 211-3
(3) Rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance n° 2017-1674
(4) Articles 26 et 26 bis A du projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises