Une chaire pour placer les limites planétaires au cœur des bilans

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Goodwill-management et Aix-Marseille School of Economics (AMSE), avec l'appui de l'Institut Louis Bachelier, ont officiellement lancé la Chaire Triple Comptabilité, le 9 septembre dernier. Cette initiative vise à renforcer les fondements scientifiques de la méthode de triple comptabilité Thésaurus-3K (T3K), un outil permettant de traduire en euros non seulement les performances financières, mais aussi les impacts sociaux et environnementaux d’une organisation.

Alors que l’Union européenne temporise sur le reporting extra-financier avec la directive « Stop the Clock », la nouvelle Chaire de Triple Comptabilité, lancée par le cabinet Goodwill-management et l’AMSE (et Aix-Marseille School of Economics), sous la direction d’Alan Fustec, directeur R&D et fondateur de Goodwill-management, président de l’agence LUCIE, défend une approche novatrice de la comptabilité. En effet, elle consiste à exprimer en euros les impacts sociaux et environnementaux pour donner une image fidèle de la valeur créée – ou détruite – par l’entreprise.

Quand les entreprises détruisent sans le savoir

La comptabilité traditionnelle ne mesure que les flux financiers, laissant dans l'ombre les destructions de capital naturel et humain. Une entreprise peut ainsi afficher un bénéfice d'1 million d'euros tout en générant 2 millions d'euros de dette environnementale, révélant une réalité préoccupante : elle détruit plus de valeur qu'elle n'en crée. Autre cas concret cité lors du lancement : une société affichant un bénéfice net positif a révélé, une fois la T3K appliquée, un déficit environnemental de 963 000 € en 2024. Sa rentabilité réelle se trouve ainsi effacée par l’ampleur de ses impacts négatifs.

À l’échelle macroéconomique, la méthode estime que les entreprises françaises génèrent collectivement plusieurs centaines de milliards d’euros de déficit environnemental par an. De quoi relativiser la performance économique apparente du pays et poser la question d’un rééquilibrage des comptes en intégrant le coût du capital naturel et social détruit.

« Avec la triple comptabilité, nous voulons donner aux entreprises un miroir fidèle de leur réalité », explique Alan Fustec. « Cet outil constitue un véritable électrochoc pour les dirigeants, en particulier pour les entreprises déjà avancées sur le plan de la RSE ».

La méthode Thésaurus-3K : une comptabilité en trois dimensions

La méthode T3K, développée par Goodwill-management depuis dix ans, traduit les impacts sociaux et environnementaux en équivalents monétaires. Elle fonctionne comme une comptabilité classique, avec un compte de résultat et un bilan, enrichis de deux volets supplémentaires :

  • Le volet social et sociétal : mesure la valeur créée ou détruite (précarité, inclusion, accidents du travail, formation, écarts salariaux)
  • Le volet environnemental : calcule la dette écologique (émissions de GES, consommation des ressources, artificialisation des sols, pollution de l'air et de l'eau)

Les calculs, réalisables en quelques semaines, donnent aux dirigeants une vision nouvelle et binaire de leur performance : rentable ou non, une fois les coûts sociaux et environnementaux intégrés.

Une approche scientifique renforcée

La chaire vise à consolider la robustesse scientifique de cette méthode à travers trois axes de recherche majeurs. Les travaux porteront notamment sur l'évaluation de l'impact d'une activité économique sur la biodiversité et les ressources, domaines où « la recherche avance très vite », souligne Raouf Boucekkine, directeur scientifique de la chaire et professeur d'économie à AMU.

Un volet explorera les liens entre thermodynamique et économie pour repenser la notion même de valeur. L'idée : créer de la valeur durable, c'est créer de la structure utile avec un accroissement d'entropie minimal.

Par ailleurs, la chaire s'inscrit dans une dynamique internationale, collaborant notamment avec une chercheuse de l'Université de Lund, en lien direct avec le Stockholm Resilience Centre, à l'origine des travaux sur les limites planétaires.

Le déploiement de la chaire suivra une feuille de route précise :

  • Année 1 : amélioration scientifique de la méthode et revue critique des modèles existants
  • Année 2 : expérimentation auprès d'entreprises volontaires
  • Année 3 : approfondissement de la recherche fondamentale sur la notion de valeur

Des enjeux macro-économiques considérables

La méthode T3K révèle des réalités saisissantes à l'échelle nationale. Appliquée aux entreprises françaises, elle met en évidence un déficit environnemental massif, comparable aux 200 milliards d'euros de déficit de la balance commerciale française en 2024.

Cette approche prépare concrètement l'application du principe pollueur-payeur, qui s'imposera « tôt ou tard comme un standard économique incontournable », selon les porteurs du projet.

Un partenariat public-privé d'excellence

Ce projet inédit associe des institutions académiques reconnues (AMU, CNRS, EHESS) et des entreprises mécènes (Baker Tilly, Ekodev, ERB, Nexity) pour créer un langage commun entre chercheurs et acteurs économiques.

AMSE, l'un des plus importants laboratoires de recherche en économie en France avec 89 chercheurs dont 20 spécialistes en économie de l'environnement, apporte sa légitimité scientifique à ce projet d'avant-garde.

En définitive, face au détricotage de la règlementation liée à la durabilité, la triple comptabilité se veut une alternative robuste et pragmatique. Elle propose un langage binaire – créatrice ou destructrice de valeur – qui tranche avec la complexité des centaines d’indicateurs ESG. Pour ses promoteurs, elle pourrait devenir un standard post-reporting extra-financier.

Samorya Wilson