Dans le cadre du paquet législatif « Omnibus I », l'Union européenne s'apprête à modifier substantiellement son mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (CBAM). L'accord provisoire conclu le 8 juin 2025 entre le Conseil et le Parlement européen marque une étape vers l'adoption définitive de cette réforme, attendue pour septembre 2025.
Le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (MACF ou CBAM en anglais) de l'UE a pour objectif principal de réduire les émissions de carbone en prévenant les risques de fuite de carbone. Il impose un coût sur les émissions de gaz à effet de serre des produits importés dans l'Union européenne, dans le but d’encourager ainsi les producteurs étrangers à adopter des pratiques plus durables. Le CBAM vise également à protéger l'environnement en alignant les émissions des produits importés sur les normes environnementales européennes. Il cherche aussi à assurer une équité économique pour les entreprises européennes soumises au système d'échange de quotas d'émission (ETS).
Rappelons que la proposition de réforme du CBAM s’inscrit dans le vaste chantier de simplification réglementaire engagé par la Commission européenne avec le paquet « Omnibus I », présenté en février 2025. Ce paquet vise à rendre la législation européenne plus lisible et moins contraignante, notamment dans le domaine de la durabilité et des investissements, en réponse aux appels à une « révolution de la simplification » lancés lors de la déclaration de Budapest en novembre 2024.
Un seuil d'exemption qui change la donne
La mesure phare de cette réforme consiste en l'introduction d'un seuil unique de 50 tonnes de marchandises importées par importateur et par an. Au-dessous de ce seuil, les entreprises seront exemptées de toutes les obligations liées au CBAM. Cette exemption « de minimis » remplace le système actuel, beaucoup plus restrictif, qui ne concernait que les biens de valeur négligeable.
Concrètement, cette mesure vise principalement les petites et moyennes entreprises (PME) ainsi que les particuliers qui importent de faibles quantités de produits soumis au CBAM. Selon les estimations européennes, cette exemption permettrait de maintenir une couverture de 99% des émissions tout en réduisant considérablement le nombre d'entreprises concernées par la réglementation.
Précisions que l’électricité et l’hydrogène restent toutefois exclus de cette exemption, en raison de leurs spécificités sectorielles.
Des mesures de simplification pour les importateurs
Au-delà du seuil d'exemption, la réforme prévoit des allégements pour tous les importateurs dépassant les 50 tonnes annuelles. Les simplifications portent sur plusieurs aspects cruciaux : la procédure d'autorisation, la collecte de données, le calcul des émissions intégrées, les règles de vérification et le calcul de la responsabilité financière.
Les entreprises bénéficieront également d'une période de transition en début d'année 2026, leur permettant de continuer leurs importations en attendant leur enregistrement CBAM. Cette mesure vise à éviter les perturbations commerciales lors de l'entrée en vigueur de la réforme.
Un calendrier serré pour les entreprises
Le règlement modifié entrera en vigueur en 2026, avec des ajustements progressifs jusqu'en 2027. Les entreprises devront adapter leurs processus internes à ces nouvelles règles dans un délai relativement court. Pour les importateurs dépassant le seuil sans autorisation, des sanctions sont prévues, même si les détails restent à préciser.
La Commission européenne s'est engagée à évaluer annuellement les données d'importation pour ajuster le seuil si nécessaire, ce qui pourrait créer une incertitude supplémentaire pour les entreprises dans leur planification à long terme.
Une révision qui interroge sur les priorités climatiques
Cette simplification du CBAM s'inscrit dans une démarche plus large de réduction des charges administratives pour les entreprises européennes, initiée par les rapports d'Enrico Letta et Mario Draghi sur la compétitivité européenne. La déclaration de Budapest de novembre 2024 avait appelé à « lancer une révolution de la simplification ».
Cependant, Si la simplification administrative est mise en avant comme une priorité par la présidence polonaise, néanmoins, cette approche soulève des questions sur l'équilibre entre facilitation du commerce et ambitions climatiques. Bien que les autorités européennes maintiennent que 99% des émissions restent couvertes, l'introduction d'exemptions pourrait envoyer un signal contradictoire aux marchés internationaux sur la détermination de l'UE à lutter contre le changement climatique.
Par ailleurs, pour s'assurer de l'efficacité environnementale du CBAM, les autorités européenne devront encourager l'innovation et prévenir les pratiques de contournement, tels que le fractionnement artificiel des importations.
Des enjeux de compétitivité en arrière-plan
La réforme intervient dans un contexte de tensions commerciales internationales croissantes. Plusieurs pays ont contesté le CBAM devant l'Organisation mondiale du commerce, y voyant une mesure protectionniste déguisée. Cette simplification pourrait être perçue comme une tentative de l'UE de réduire les frictions commerciales tout en maintenant ses objectifs environnementaux.
Pour les entreprises européennes, cette réforme représente un allégement bienvenu des contraintes administratives, particulièrement pour les PME qui disposent de ressources limitées pour gérer ces obligations. Mais elle pose également la question de la cohérence à long terme de la politique climatique européenne face aux pressions économiques.
À noter que l’accord provisoire doit encore être approuvé formellement par le Conseil et le Parlement européen, une adoption étant attendue d’ici septembre 2025.
Samorya Wilson
