Les retards de paiement peuvent avoir des conséquences graves pour les entreprises, notamment en termes de défaillances. Il est donc important de mettre en place des bonnes pratiques pour améliorer leur gestion et travailler en étroite collaboration avec ses partenaires commerciaux et financiers pour prévenir les difficultés, voire les litiges. Interview de Nicolas Flouriou, président de l’AFDCC (Association Française des Credit Managers & Conseils).
Quel type de soutien l’AFDCC propose-t-elle aux entreprises dans la gestion des délais de paiement ?
L’AFDCC accompagne les entreprises pour éviter les défaillances liées aux retards de paiement en proposant des formations et des outils pour améliorer la gestion du poste clients. Elle peut également aider les entreprises à négocier des délais de paiement plus favorables avec leurs clients et fournisseurs.
Nous analysons la solvabilité de nos clients ou prospects et éventuellement négocions avec eux des délais de paiement spécifiques ou des garanties afin de réduire le risque de non-paiement ou de retard de paiement. Notre rôle consiste à leur éviter de se retrouver sur la liste de la DGCCRF.
La DGCCRF dispose de deux leviers. Tout d’abord le levier économique avec une sanction administrative, en fonction de la santé financière de la société épinglée. Il y a ensuite une question d'image, car les sanctions sont publiées en ligne et reprises dans la presse. Le risque d'image est important, car cela joue sur la RSE. Lorsqu'une société est irrespectueuse et qu'elle a mis en place une politique RSE, on peut regarder comment elle paie ses fournisseurs en vérifiant avec la DGCCRF.
L’AFDCC, en tant qu'acteur majeur de la lutte contre les retards de paiement, propose également des actions de sensibilisation et de plaidoyer auprès des pouvoirs publics et des acteurs économiques. Elle milite notamment pour une meilleure application de la réglementation en vigueur, une plus grande transparence dans les délais de paiement et des sanctions plus dissuasives en cas de non-respect de ces délais.
L’annonce d’Olivia Grégoire fin avril, à l’occasion du vote au Parlement européen sur le sujet, a déclaré vouloir doubler les montants des amendes et recourir plus systématiquement au Name and shame.
L’AFDCC y est favorable, voire même à une sanction en pourcentage du chiffre d’affaires. En effet, le montant maximum de l’amende, 2 millions d’euros, peut ne pas être dissuasif pour les très grandes sociétés. Il est crucial de souligner l'importance des délais de paiement en France. Il y a 800 milliards d'euros de crédit interentreprises en France, ce qui est au moins quatre fois plus que le crédit bancaire court terme. Cela signifie que c'est la source de financement court terme la plus importante en France pour les sociétés.
On atteint un montant de 53 milliards d'euros de créances impayées chaque année en France. Et, lorsqu'on regarde l'impact sur les PME, qui sont le tissu le plus important de nos entreprises, cela représente 15 milliards d'euros de trésorerie en moins chaque année pour elles.
Selon vous quelles sont les principales causes des retards de paiements interentreprises ?
Tout d'abord, il y a la mauvaise volonté de la part de certaines sociétés qui jouent le jeu de l'allongement des crédits fournisseurs. Cependant, cela est moins important que les deux autres points que je vais soulever.
En premier lieu, il s’agit le plus souvent d’une mauvaise organisation. Lorsque nous parlons de désorganisation comptable, il ne s'agit pas seulement d'une organisation comptable défaillante, mais d'une organisation comptable complètement absurde. Par exemple, avoir sept personnes pour valider un numéro de bon de commande ou une facture, avoir des logiciels qui refusent une facture pour 1 centime de différence, ou ce genre de choses. Il y a également des logiciels qui bloquent la totalité des factures alors qu'il n'y en a qu'une qui est litigieuse. Il y a donc une désorganisation comptable qui est responsable d’une majeure partie des retards de paiement.
Le second point est la responsabilité des personnes qui traitent le sujet avec une certaine désinvolture. Il appartient à l'être humain et à l’entreprise qui est derrière d'avoir un logiciel de validation de facture qui fonctionne. Cela ne peut pas être mis au détriment des fournisseurs, et d'ailleurs, ce n'est pas un argument audible lorsqu'il y a un contrôle pour expliquer pourquoi il y a des retards. Certes, il faut également noter comme cause de retards de paiement le fait que la société peut avoir des problèmes de trésorerie, mais cela est moins fréquent que cette espèce de grande désinvolture.
Quel impact ont les délais de paiement prolongés sur le tissu économique?
Les retards de paiement peuvent avoir un effet domino sur les entreprises. Une entreprise qui attend d'être payée par son client peut à son tour retarder le paiement de ses fournisseurs. Depuis environ un an, il y a une augmentation des retards de paiement, en partie à cause de différentes crises géopolitiques, économiques et tendances inflationnistes, ainsi que de guerres proches de notre pays. La fin du "quoi qu'il en coûte" et la reprise du recouvrement par l'URSSAF ont également contribué à cette situation.
Les retards de paiement peuvent avoir des conséquences graves pour les entreprises, notamment en termes de défaillances. Une étude de 2020-2021 a montré que les entreprises qui subissent des retards de paiement de plus de 60 jours ont 25% de plus de risques de faire faillite que celles qui sont payées dans les délais. Cette probabilité de défaillance augmente encore si les retards de paiement dépassent les 90 jours.
Il convient également de souligner que les retards de paiement peuvent avoir des conséquences sur l'ensemble de l'économie. En effet, lorsqu'une entreprise est confrontée à des retards de paiement, elle peut à son tour avoir des difficultés à régler ses propres fournisseurs, ce qui peut créer un effet domino et fragiliser l'ensemble de la chaîne d'approvisionnement.
Par ailleurs, les retards de paiement peuvent également avoir des répercussions sur l'emploi et l'investissement. Les entreprises qui rencontrent des difficultés de trésorerie en raison de retards de paiement peuvent être contraintes de réduire leurs effectifs ou de reporter leurs projets d'investissement, ce qui peut pénaliser leur compétitivité à long terme.
C'est pourquoi la lutte contre les retards de paiement est un enjeu majeur pour l'ensemble de l'économie. Des initiatives telles que la Charte des bonnes pratiques interentreprises, qui vise à promouvoir des relations commerciales équilibrées et responsables, ou encore le Label Relations Fournisseurs Responsables, qui récompense les entreprises engagées dans des pratiques d'achat responsables, peuvent contribuer à améliorer la situation.
Les pouvoirs publics ont également un rôle à jouer en renforçant la réglementation et les sanctions en cas de non-respect des délais de paiement, ou encore en mettant en place des dispositifs de soutien aux entreprises en difficulté. En somme, la lutte contre les retards de paiement est un défi collectif qui nécessite l'engagement de tous les acteurs économiques et la mise en place de solutions concrètes et efficaces.
Sans compter que cela peut également avoir un impact négatif sur les relations interentreprises.
Effectivement, car une entreprise qui ne respecte pas les délais de paiement peut être perçue comme peu fiable et peu professionnelle par ses fournisseurs et ses clients. Cela peut nuire à sa réputation et à sa capacité à établir des relations commerciales durables et pérennes. Il est donc essentiel pour les entreprises de mettre en place des processus de gestion des factures et des paiements efficaces et transparents. Cela peut passer par l'utilisation de logiciels de facturation et de gestion des paiements, la mise en place de procédures de validation et de contrôle des factures, ou encore la mise en place d'un service dédié à la gestion des factures et des paiements.
Les entreprises peuvent également s'appuyer sur des partenaires spécialisés dans la gestion des factures et des paiements, tels que les sociétés d'affacturage ou les plateformes de paiement en ligne. Ces partenaires peuvent apporter une expertise et des outils supplémentaires pour optimiser leur gestion des factures et des paiements.
Enfin, il est important de souligner que la lutte contre les retards de paiement est également une question de solidarité interentreprises. Les entreprises qui respectent les délais de paiement contribuent à la santé financière de leurs fournisseurs et de leurs clients, et donc à la pérennité de l'ensemble de l'écosystème économique. C'est pourquoi il est essentiel que toutes les entreprises, quelle que soit leur taille ou leur secteur d'activité, s'engagent dans cette démarche et fassent de la lutte contre les retards de paiement une priorité.
La facturation électronique est-elle une partie de la solution ?
Il est important de noter que la facturation électronique ne sera pas une solution miracle pour les retards de paiement. Bien qu'elle puisse aider à réduire les erreurs administratives et à accélérer le processus de facturation, elle ne peut pas empêcher les mauvais payeurs de retarder leurs paiements ou de contester les factures sans raison valable.
En outre, la mise en place de la facturation électronique peut entraîner des coûts supplémentaires pour les entreprises, tels que les frais d'installation et de maintenance des systèmes informatiques, ainsi que les coûts de formation du personnel. Cependant, ces coûts peuvent être compensés par les économies réalisées grâce à une gestion plus efficace des factures et des paiements.
Il convient également de souligner que la facturation électronique ne sera pas obligatoire pour toutes les entreprises en même temps. En France, par exemple, la législation prévoit une mise en place progressive de la facturation électronique, en fonction de la taille et du secteur d'activité de l'entreprise. Les grandes entreprises et les entreprises publiques seront les premières à devoir se conformer à cette nouvelle réglementation (NDLR : septembre 2026), tandis que les TPE-PME bénéficieront d'un délai supplémentaire (NDLR : septembre 2027).
Enfin, il est important de noter que la facturation électronique ne remplacera pas complètement la facturation papier. Bien que la plupart des factures seront émises et reçues sous forme électronique, il y aura toujours des cas où une facture papier sera nécessaire, comme dans le cas de certaines transactions internationales ou de certains clients qui préfèrent encore recevoir des factures papier.
La facturation électronique est une tendance croissante dans le monde des affaires, qui peut aider à réduire les retards de paiement et à améliorer la gestion des factures et des paiements. Cependant, elle ne sera pas une solution miracle pour tous les problèmes liés aux retards de paiement, et elle peut entraîner des coûts supplémentaires pour les entreprises. Il est important que les entreprises se préparent à cette nouvelle réglementation en formant leur personnel et en mettant en place des systèmes informatiques adéquats, tout en étant conscientes que la facturation papier ne disparaîtra pas complètement.
Que contient le règlement Late Payments voté le 24 avril au Parlement européen ?
Cette nouvelle réglementation, qui entrera en vigueur dans un an, a suscité beaucoup d'intérêt de la part des fédérations et des organisations de différents pays. Initialement, la réglementation proposait un délai de paiement de 30 jours nets maximum sans dérogation. Cependant, après des échanges et des négociations, des amendements ont été apportés.
Le résultat final de ce vote est que les délais de paiement seront de 30 jours calendaires, avec la possibilité de les étendre à 60 jours nets si cela est accepté par les deux parties dans le contrat. Cette pratique est similaire à celle en France, où les délais de paiement peuvent être prolongés à 60 ou même 120 jours dans certains secteurs. Toutefois, il convient de noter que les délais de paiement en France sont généralement inférieurs à 120 jours.
Une avancée importante de cette nouvelle réglementation est que les délais de paiement des administrations publiques seront réduits à 30 jours. Cela signifie que les hôpitaux, les établissements publics de santé et autres entités étatiques devront respecter ce délai. Bien que cela soit une amélioration, il convient de noter que certains établissements publics ont des retards de paiement importants, ce qui peut décourager les fournisseurs de travailler avec eux.
En outre, la nouvelle réglementation exige que chaque État membre ait sa propre autorité de contrôle pour les délais de paiement, comme la DGCCRF en France. À l'heure actuelle, la France et la Pologne sont les seuls pays à avoir mis en place ce modèle.
Pensez-vous que cette règlementation aurait dû aller encore plus loin ?
Il y a un problème majeur qui n'est pas abordé dans cette nouvelle réglementation, à savoir les délais de paiement cachés. Ces retards de paiement surviennent lorsqu'une entreprise ne peut pas émettre une facture rapidement en raison de l'absence de numéro de bon de commande ou de problèmes d’auto- facturation. Ces retards de paiement peuvent représenter des centaines de millions d'euros et avancent en sous-marin, car techniquement le délai de paiement ne commence à courir qu'à partir de la date d'émission de la facture.
Les retards de paiement cachés sont un problème majeur pour les entreprises, car ils peuvent entraîner des difficultés de trésorerie et nuire à la relation commerciale avec les clients. Il convient donc de sensibiliser les entreprises et les acteurs concernés à l'importance de la facturation et des délais de paiement. Cela peut passer par des campagnes d'information, des formations ou encore des événements dédiés.
Il est important de souligner que la facturation électronique ne résoudra pas ce problème de délais de paiement cachés. Les entreprises doivent donc trouver des moyens de calculer et de gérer ces retards de paiement pour éviter des problèmes de trésorerie. Les retards de paiement cachés sont un problème complexe qui nécessite une approche globale et concertée. Il est donc essentiel que tous les acteurs concernés, qu'ils soient publics ou privés, travaillent ensemble pour trouver des solutions durables et efficaces.
Propos recueillis par Hadrien Donnard