Cette réforme marque une avancée en matière de droits des salariés et témoigne de l'engagement des autorités à adapter le droit français aux normes européennes. Interview de Patricia Pierre, juriste en droit du travail en charge du pôle Social & RH au sein du groupe Exponens, pour nous expliquer comment, selon elle, cette réforme va permettre aux employeurs de résoudre des complexités majeures.
Quelles sont les obligations supplémentaires imposées aux entreprises en matière d’information des salariés sur leurs droits de congés payés ?
La loi du 10 avril met en conformité le droit français avec le droit européen. À peine votée, la Direction Générale du Travail a livré quelques précisions quant à l’interprétation du texte (sans valeur juridique cependant) En résumé le Code du travail prévoit désormais que le salarié en arrêt maladie acquiert 2 jours ouvrables de congés payés par mois (avec un maximum de 24 jour ouvrable sur un an), et que le salarié en accident du travail ou maladie professionnelle acquiert 2.5 jours ouvrables par mois (30 jours ouvrables par an) même en cas d’arrêt supérieur à 12 mois consécutifs.
Il est créé une période de report de 15 mois permettant au salarié de prendre ses congés payés acquis mais qu’il n’aurait pas pu poser au cours de leur période normale de prise du fait d’arrêt(s) maladie. Enfin, la loi prévoit, pour les salariés en poste, une application rétroactive à compter du 1er décembre 2009 de ces nouvelles règles d’acquisition et de période de report de 15 mois.
Quelles sont les principales difficultés que les employeurs devront anticiper dans la mise en œuvre de cette réforme ?
Les principales difficultés à anticiper pour les employeurs vont être d’une part de se familiariser avec ces nouvelles règles complexes (décompte des droits à CP et gestion du report), de dresser un état des lieux des congés qui seront à régulariser, de décider d’informer les salariés de leurs droits ou d’adopter une position attentiste pour l’antériorité, et de disposer pour l’avenir d’outils (logiciel de paie, SIRH) , permettant d’assurer un suivi conforme à la loi nouvelle des compteurs congés payés.
Les difficultés principales vont concerner, à mon sens :
- La gestion différenciée des arrêts maladie non professionnelle qui donnent désormais lieu à acquisition de 2 jours de congés par mois d’absence (contre 2, 5 jours si le salarié travaille ou est en arrêt pour maladie professionnelle ou accident du travail).
Cette acquisition dérogatoire en cas de maladie sera à articuler avec les règles d’équivalences (4 semaines de travail effectif ou 20 jours si l’horaire de travail est réparti sur 5 jours de la semaine, 22 jours si l’horaire de travail est réparti sur 5,5 jours de la semaine et 24 jours si l’horaire de travail est réparti sur 6 jours de la semaine équivalent à un mois de travail) en vertu desquelles une absence maladie inférieure à ces durées sera sans impact sur la durée des congés payés acquis (soit au final une acquisition de 2,5 jours de congés par mois et 30 jours à l’année).
Ainsi un salarié, ayant eu des arrêts maladie, mais totalisant 48 semaines de travail effectif (ou périodes assimilées) bénéficiera de 30 jours ouvrables de congés payés (5 semaines) Un salarié malade 3 mos sur la période de d’acquisition des congés, aura droit à 28,5 jours ouvrables de congés payés sur l’année (2,5 jours sur 9 mois = 2 jours sur les 3 mois de maladie) À ce jour, le texte ne prévoit pas comment gérer les arrêts maladie sur une période du mois seulement (prorata des 2 jours ?) Les entreprises devront, bien entendu tenir compte des dispositions conventionnelles plus favorables en matière d’acquisition des droits à congés payés en cas de maladie (convention collective ou accord d’entreprise)
Techniquement les logiciels de paie devront être paramétrés pour gérer ces règles d’acquisition de congés payés mais aussi les règles de calcul des indemnités de congés payés correspondantes. Ainsi pour le calcul selon la règle « du dixième » à comparer avec la règle du maintien du salaire, l’article L 3141-24, I modifié du code du travail prévoit que les absences pour accident ou maladie non professionnels « sont considérées comme ayant donné lieu à rémunération en fonction de l’horaire de travail de l’établissement, dans la limite d’une prise en compte à 80% » pour tenir compte de l’acquisition de 2 jours ouvrables de congés payés au lieu de 2,5).
- La gestion du report des congés
La loi instaure une période de report des congés fixée à 15 mois, pour les salariés qui du fait d’un arrêt maladie (professionnel ou non) n’auraient pas pu prendre leurs congés au cours des périodes de prise fixées dans l’entreprise. À l’issue de la période de 15 mois, si le salarié n’a pas pu solder ses congés, ils sont définitivement perdus. À noter qu’un délai de report de plus de 15 mois peut être prévu par voie conventionnelle.
L’application de la période de report de 15 mois de ces congés soulève des difficultés compte tenu de la variété des situations rencontrées (salarié malade moins d’un an sur une seule période de congé, salarié malade moins d’un an mais sur deux périodes de congés, salariés malades plus d’un an …) et de l’obligation nouvelle pour l’employeur d’informer le salarié de ses droits lors de la reprise du travail. Cette information implique donc un formalisme spécifique et un suivi rigoureux des dates de reports.
Il faut avoir en mémoire que légalement, la période d’acquisition des congés payés se situe du 1er juin de chaque année au 31 mai de l’année suivante. La période de prise des congés payés peut être fixée par accord d’entreprise ou accord de branche. En l’absence d’accord, l’employeur définit la période de prise des congés payés (après avis du CSE) qui comprend dans tous les cas la période du 1er mai au 31 octobre de chaque année.
Les employeurs devront porter une attention particulière à définir chaque année la période de prise des congés payés et la formaliser auprès des salariés.
On le comprend bien au travers de ces exemples, les entreprises vont devoir s’approprier ces nouvelles règles et communiquer de manière à les expliquer à leurs salariés
Quelles sont les obligations supplémentaires imposées aux entreprises en matière d’information des salariés sur leurs droits de congés payés ?
L’employeur est désormais tenu, à l’issue de chaque arrêt de travail pour maladie non professionnelle ou accident du travail/maladie professionnelle d’informer le salarié du nombre de jours de congés dont il dispose et de la date jusqu’à laquelle ces congés pourront être pris. Cette information doit être réalisée dans le mois suivant la reprise du travail, par tout moyen conférant date certaine à leur réception, notamment au moyen du bulletin de paie. (article L 3141-19-3 nouveau, code du travail).
Cette information s’imposera à l’employeur quelle que soit la durée de l’arrêt de travail, même dans les cas où l’absence serait finalement sans effet sur les droits à congés payés (compte tenu des règles d’équivalence notamment, ou de l’assimilation à du temps de travail effectif déjà prévue par la convention collective applicable).
Il s’agit là d’une contrainte administrative forte pour les entreprises, mais dont elles ne pourront s’exonérer sans risque puisque cette information du salarié marquera le point de départ du délai de report de 15 mois pour la prise des congés. L’absence d’information ou une information tardive diffère donc d’autant le point de départ du délai de report de 15 mois.
En quoi cette mesure contribuera-t-elle à assurer une gestion transparente des congés payés au sein des entreprises ?
Cette loi, peut contribuer à assurer une gestion transparente des congés payés au sein des entreprises notamment du fait de l’obligation de l’employeur d’informer le salarié à chaque reprise du travail de ses droits à congés et des dates maximales de report pour leur prise. Ainsi le salarié connaîtra exactement ses droits en la matière, et le chef d’entreprise pourra organiser la prise de ces congés.
Mais, sauf à utiliser un SIRH permettant de clarifier cette information, c’est au travers du bulletin de paie que cette information pourra être communiquée au salarié (il conviendra à mon sens de distinguer plusieurs compteurs de Cp selon leur date maximale de prise) Cela risque d’alourdir et complexifier la lecture des bulletins de paie à l’heure où le Gouvernement annonce dans son projet de loi de simplification vouloir réduire radicalement le nombre de lignes du bulletin de paie !
De même la règle du report de 15 mois des congés non pris, impose aux entreprises plus de transparence en communiquant chaque année sur les périodes de prise des congés payés. En effet, même si le salarié dispose d’un délai de 15 mois pour prendre ses congés payés à son retour de maladie, il ne pourra prendre ces congés que pendant les périodes de prise définies dans l’entreprise.
Quels sont les délais spécifiques établis pour les situations de réclamation concernant les congés payés et quels seront les implications de la rétroactivité (jusqu’en 2009 ?) pour les salariés concernés ?
La loi prévoit expressément qu’elle est rétroactive au 1er décembre 2009 (sous réserve des décisions de justice passées en force de chose jugée et de stipulations conventionnelles plus favorables). La date du 1er décembre 2009 correspond à l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne ayant donné force contraignante à la Charte des droits fondamentaux de l’union européenne qui consacrait le droit à congés payés en cas d’arrêt maladie (dans la limite de 2 jours par mois et 24 jours à l’année)
Sont donc rétroactives les règles d’acquisition des congés payés en cas de maladie, dans la limite de 24 jours ouvrables par année et de report de 15 mois des congés payés. Cette rétroactivité, ne concerne que les congés payés acquis pendant les arrêts maladie. (Les arrêts pour accident du travail supérieurs à douze mois ne sont pas visés par le texte).
Ses effets sont par ailleurs limités dans la mesure où :- l’acquisition rétroactive des congés au titre de la maladie ne peux pas conduire à ce que le salarié bénéficie de plus de 24 ouvrables jours de congés payés par année d’acquisition. Autrement dit, un salarié qui par le passé aurait sur une période d’acquisition déjà acquis 24 jours de congés au titre de son travail effectif pendant 10 mois, ne bénéficierait pas de congés payés supplémentaires au titre de sa maladie sur les 2 autres mois de l’année.
- un salarié ayant travaillé 8 mois, puis en arrêt maladie pendant 4 mois, aurait déjà acquis 8x2,5 jours = 20 jours ouvrables. Sa maladie pendant 4 mois devrait lui faire acquérir 4x2 = 8 jours ouvrables, soit 20+8 qui seront plafonnés à 20+4.
- en cas d’arrêt maladie de longue durée sur plusieurs exercices, les règles de délai de report de 15 mois font que dans bien des cas, les droits passés seront perdus.
Ces mesures ont été adoptées dans un souci de protection financière des entreprises qui auraient sinon été exposées à de forts rappels de jours de congés. Ces règles impliquent un travail d’analyse qui peut s’avérer complexe tant pour les entreprises que les salariés.
Pour les salariés toujours en poste, la loi prévoit un délai de forclusion pour agir. À compter du lendemain de la publication de la loi, les salariés concernés disposent d’un délai de deux ans pour agir en justice et demander l’attribution de leurs droits à congés payés (dans l’hypothèse où l’employeur ne procède pas à l’information du salarié sur ses droits).
La situation est différente pour les salariés ayant quitté leur entreprise à la date de publication de la loi ; La loi ne prévoyant pas de disposition spécifique, s’il l’on se réfère à la décision du Conseil d’Etat du 13 mars dernier, il semble que ce soient les règles de prescription de droit commun qui s’appliquent. Ainsi, un ancien salarié ne pourrait donc réclamer des indemnités compensatrices de congés payés que s’il agit en justice dans les trois ans de la rupture de son contrat de travail.