A l'occasion de la Journée 2017 du numérique organisée par l'Ordre des experts-comptables, nous avons rencontré le Président du Conseil supérieur Charles-Réné Tandé, ainsi que Dominique Jourde, Président de la commission numérique, Sanaa Moussaïd, Présidente du comité transition numérique et Dominique Perier, Président du comité technologique de l'Ordre des experts-comptables. Ils ont accepté de répondre aux questions du Monde du Chiffre sur les enjeux du numérique et des nouvelles technologies pour la profession comptable.
L’institut Xerfi a récemment publié une étude sur l’expertise comptable à l’horizon 2019, qui identifie 4 leviers de croissance dans le numérique pour la profession : l’offre digitale, la production digitale, la communication sur le web et l’externalisation de la production vers des Etats tiers, avec une main d’œuvre moins onéreuse. Quelles sont vos réactions à ce sujet ?
Dominique Perier : Si je reprends votre dernier point, l’externalisation de la production vers des pays tiers, personnellement, je n’y crois plus du tout. Pourquoi ? Parce que nous disposons de la technologie permettant à ceux qui sont partis de revenir en France et de produire à moindre coût. L’intelligence artificielle, la blockchain… tout cela permettra d’avoir une production forcément moins coûteuse et de dégager du temps pour les collaborateurs.
Cela passera également par la formation des équipes. En effet, les personnes qui font de la saisie comptable aujourd’hui feront autre chose demain. Nous devons les faire évoluer vers la relation client et sur les aspects conseils.
Sanaa Moussaid : Je voudrais juste ajouter un point. Je crois d’autant moins à l’externalisation de la comptabilité vers des pays tiers que dans cinq ou dix ans, la tenue comptable n’existera tout simplement plus. Et concernant les missions de conseil, elles requièrent une proximité avec le client. Ces prestations ne peuvent pas être externalisées, même si nous pourrons faire appel à des experts pour nous accompagner.
Dominique Jourde : En complément sur ce sujet, je pense que l’externalisation de la saisie a effectivement été une tendance, une mode, mais qu'elle s’est éteinte parce qu’il y avait un temps de traitement et donc de retour de l’information trop long. Aujourd’hui, ce dont nous avons besoin, c’est de l’information en temps réel.
Sur les autres aspects du numérique, ce sont obligatoirement des leviers de croissance puisqu’aujourd’hui, 50 % environ du chiffre d’affaires des cabinets d’expertise comptable provient de la saisie comptable. Si nous parvenons à remplacer ce travail, via l’automatisation, par des missions à plus haute valeur ajoutée (notamment l’aide au pilotage de nos clients), nécessairement le chiffre d’affaires global de la profession comptable devrait se développer.
Le numérique est également ressenti avec une certaine crainte par la profession, semble-t-il, avec l'idée d'un risque d'automatisation et d'ubérisation : avez-vous un message à transmettre aux confrères sur ce point ?
Charles-Réné Tandé : Oui, les inquiétudes sont normales. Toute période accompagnée d’un changement important génère du stress, de l’inquiétude pour tous les acteurs.
Maintenant, quand je regarde l’histoire des trente dernières années de notre profession – et je repars du moment où l’informatique est arrivée – nous avons encore plus progressé en nombre d’experts-comptables et de collaborateurs dans les cabinets avec cette technologie.
Cela signifie que ce n’est pas l’outil qui va mettre en danger la profession. Au contraire, plus nous disposerons de technologies performantes, et donc de données, plus notre profession sera bonne conseillère, maîtrisant ces données.
Demain, nous aurons l’information en temps presque réel, ce qui viendra resserrer notre proximité d’accompagnement avec le chef d’entreprise, grâce à cette restitution de données, qui auront été préalablement analysées par nos soins.
Et même si demain, ou après-demain, des robots dotés d’un commencement d’intelligence artificielle pourront analyser les données, nous pourrons encore s’appuyer plus facilement sur ces informations analysées pour en faire un levier de discussion et de conseil auprès du client.
Pour nous, c’est une chance, une opportunité. Et si ensuite, certains experts-comptables ne veulent pas se mettre dans cette transition, c’est vrai qu’ils se mettent en risque. Mais globalement, pour la profession, je n’ai pas d’inquiétude.
Vous parliez de restitution instantanée des données, ce qui évoque bien entendu la blockchain, quel est votre point de vue sur le rôle de l’expert-comptable par rapport à cette nouvelle technologie ?
Sanaa Moussaid : Sur cette nouvelle technologie, nous commencerons à travailler à partir de 2018 pour avoir une vraie réflexion à ce sujet. En accord avec le Président Charles-René Tandé, nous souhaitons analyser l’intérêt de la blockchain pour la profession et voir comment nous pourrions l’utiliser afin d’améliorer la vie des cabinets.
Mais c’est un projet qui est en cours de lancement. Nous essayons de grandir avec, en intégrant également l’intelligence artificielle. Nous aurons davantage l’occasion d’en parler lors de la prochaine édition 2018 de la Journée du numérique !
Alors, un sujet plus urgent : celui de la cybercriminalité. Quel est selon vous le rôle des experts-comptables sur cette question ?
Dominique Jourde : Sur la cybercriminalité, je pense effectivement qu’il faut prendre conscience qu’avec ce nouvel environnement numérique, le danger de se faire hacker est extrêmement important et que personne n’est à l’abri. Les cabinets d’expertise comptable sont même une cible privilégiée, de par la qualité et la confidentialité de l’information détenue. La question n’est donc pas de savoir si nous allons nous faire pirater mais quand cela va se produire… et surtout comment nous devons réagir en cas de survenance d’un tel événement.
A cet égard, le rôle du Conseil de l’Ordre est de fournir tous les outils aux confrères pour essayer d’anticiper au mieux ces phénomènes.
Dominique Perier : En complément sur la cybercriminalité, c’est vrai qu’il faut avancer sur ce point, mais il ne faut pas non plus ne viser que la tristesse du sujet.
Cela signifie donc que la profession va préparer des actions pour se protéger contre cela. Ce sont notamment les « 10 commandements pour se prémunir de la cybercriminalité » réalisés en commun avec la CNCC, qui vont être communiqués par l’Ordre aux confrères.
Au-delà, nous réfléchissons à mettre en place un numéro vert commun à l’Ordre des experts-comptables et à la CNCC pour accompagner les cabinets mais aussi leurs clients. Ce sont donc ces deux axes qui sont concernés : comment réagir si je suis attaqué en tant qu’expert-comptable ou commissaire aux comptes mais également, si mon client rencontre un problème, comment faire pour l’aider. En effet, il n’y a pas que le côté financier à gérer. L’aspect psychologique est aussi important. Nous avons un vrai rôle à cet égard. Nous sommes attendus.
Pour finir, avez-vous prévu d’autres événements, d’autres actions autour du digital avant la prochaine édition de la Journée du numérique l’année prochaine ?
Sanaa Moussaid : Bien sûr, au sein des Comités transition numérique et technologique présidé par Dominique Perier, nous avons décidé d’organiser dès 2018 des ateliers en cinq à sept. Tout d’abord, des ateliers qui ont lieu aujourd’hui pour la Journée du numérique, seront prolongés.
Nous avons également prévu d’organiser une formation sur la blockchain afin d’expliquer et vulgariser cette technologie à nos confrères. Ces ateliers qui se tiendront une fois par mois, auront pour but de fournir de la matière et du concret à nos confrères pour les aider dans leur réflexion numérique.
Dominique Jourde : Au-delà, le Congrès annuel de l’Ordre, l’année prochaine à Clermont-Ferrand, sera également un moment fort de communication sur la problématique du numérique. Et il y a enfin toutes les assemblées générales régionales, qui sont autant de moments pour adresser certains messages et communiquer auprès des confrères.
Propos recueillis par Hugues Robert