Jean Bouquot : « Je ne pense pas que nous soyons demain ubérisés »

Interviews
Outils
TAILLE DU TEXTE

jean-bouquot

A l’occasion de la 8ème Journée de l’évaluation organisée par la CNCC le jeudi 12 octobre 2017 et consacrée au thème : « évaluation et rupture technologique », le Président de la CNCC Jean Bouquot a accepté de répondre aux questions du Monde du Chiffre sur cette thématique de l’impact des bouleversements technologiques actuels (numérisation, robotisation, intelligence artificielle, Big data…) sur l’activité des commissaires aux comptes et notamment sur l’évaluation d’entreprise.

Quelles sont selon vous les implications de la rupture technologique sur l’évaluation d’entreprise ?

La rupture technologique change non seulement un certain nombre de modèles d’entreprise mais elle modifie également des fondements sociétaux. Elle remet ainsi en cause la manière dont nous pouvons approcher avec une certaine visibilité l’évaluation d’entreprise.

Or la visibilité est essentielle dans l’évaluation. Traditionnellement, dans nos modèles, l’évaluateur doit pouvoir s’appuyer sur des historiques, sur des comparables… A cet égard, la rupture technologique fait perdre beaucoup de repères. Elle nous oblige ainsi à revoir notre propre « boîte à outils ». Dans un monde qui est assis sur beaucoup moins de certitudes – il est difficile de déterminer ce que sont et seront les business models – nos critères et nos modes d’évaluation sont perturbés, perdent en lisibilité et nous obligent à nous réinventer.

Il faut aussi mentionner la rapidité de ces bouleversements. Pour obtenir des évaluations pertinentes, il faudrait pouvoir s’appuyer sur des tendances observables, des données mesurables sur la durée. Mais désormais les séquences économiques sont nettement plus courtes.

Quel est votre point de vue sur la rupture technologique et son impact sur la profession même du commissariat aux comptes ?

Il y a deux éléments qui nous concernent. Tout d’abord, les entreprises dans lesquelles nous intervenons sont en mutation voire en profonde transformation. Ainsi, notre appréciation des risques et de la viabilité sur une période observable du modèle, avec ses conséquences comptables, nous confèrent davantage d’éléments sur lesquels exercer notre jugement et notre esprit critique. Je rajouterai un point sur les entreprises que nous observons : elles sont toutes – petites et grandes – soumises aux cyber-risques.

Ensuite, notre propre approche évolue. Nous devons considérer que sont à notre disposition des données presque sans limites. Il ne s’agit plus uniquement d’apprécier par exemple la pertinence des états financiers. Des questions doivent également être posées sur les mégadonnées qui nous permettent d’avoir un regard critique sur la constitution de ces états financiers et de mettre en place dans notre propre domaine, des outils s’appuyant sur les données statistiques, allant au-delà des techniques traditionnelles de sondage.

Je ne pense pas que nous soyons demain ubérisés pour ce qui concerne les commissaires aux comptes. Il y a au contraire besoin de beaucoup plus de jugements, d’appréciations des risques qui s’appuient évidemment sur l’expérience des professionnels. Et le commissariat aux comptes ne se réduit pas à la seule appréciation de la pertinence des états financiers. C’est aussi la prévention des difficultés, la procédure d’alerte, le contrôle du bon respect des textes, ce qu’un robot ne sera selon moi pas à même de faire.

En tant que président de la CNCC, avez-vous un message à transmettre à la profession des commissaires aux comptes, confrontés aux bouleversements technologiques ?

Je pense qu’il faut être ouvert, désireux, voire avide d’appréhender tout ce qui nous environne et tout ce qui change. A la fois les modèles des entreprises et nos propres démarches d’auditeurs, sans surtout se dire que nous serons submergés par un environnement et des technologies que nous ne maîtriserons jamais.

Au contraire, je pense qu’il y a des champs nouveaux très intéressants, notamment dans l’évaluation. Dans ce monde qui bouge et qui se transforme en permanence, des professionnels avertis qui ont une bonne capacité à identifier les risques et ensuite à les intégrer dans leurs démarches, constituent une valeur réelle. Dans une société qui prône un investissement toujours croissant dans les entreprises, le fait de pouvoir compte sur des « acteurs de confiance » est un atout énorme. J’y vois des sources d’expansion et de visibilité qui sont réelles.

Propos recueillis par Hugues Robert

Les Annuaires du Monde du Chiffre