TRIBUNE - Par Geoffrey Nozerand, Directeur Partenariat Dext France -
L’IA n’est plus un mot à la mode. Profondément ancrée dans nos habitudes, elle a déjà fait ses preuves en apportant des réponses concrètes à des problèmes tout aussi concrets, à l’instar des pénuries de main-d’œuvre, comme c’est aujourd’hui le cas dans le secteur comptable.
Dans tous les secteurs, l’adoption d’outils d’IA s’impose autant comme un avantage stratégique qu'une nécessité opérationnelle. Ce qui relevait autrefois de l’expérimentation est désormais au cœur du fonctionnement quotidien des entreprises qui veulent rester compétitives. Et, ces outils évoluent vite. En juillet dernier, OpenAI a lancé ChatGPT Agent, un modèle capable de contrôler un navigateur pour exécuter des tâches, à la place des salariés. Les agents d’IA les plus avancés peuvent planifier des missions, corriger des formules dans un tableur ou interagir avec des outils complexes comme Excel. Ils peuvent même diriger les commandes, les stocks et la tarification des distributeurs automatiques, ou faire des simulations de clôture comptable pour des sociétés SaaS. Ces modèles progressent chaque jour, pour devenir toujours plus précis, toujours plus rapides.
Les pouvoirs publics aussi se saisissent de cette poussée de l’IA. En France, le plan « France 2030 » et la création du « Comité interministériel à l’intelligence artificielle » traduisent une volonté claire d’accélérer l’adoption de ces technologies, tant dans le secteur public que privé. Ces initiatives visent à stimuler la productivité, l’efficacité et l’innovation, tout en équipant la France pour faire face à la concurrence.
Cependant, malgré cette position politique claire, les PME françaises restent encore prudentes face à l’adoption de l’IA. Selon une étude de BPI France, 57 % des entreprises ne disposent pas de stratégie d'IA, et 43 % d’entre elles n'utilisent toujours pas l'analyse de données pour gérer leur activité. Beaucoup peinent à franchir le pas, souvent faute de formation ou de ressources internes.
Celles qui l’adoptent et les autres
Nombre d’entreprises accusent déjà un retard critique. Il n’y a pas si longtemps, préférer le numérique au papier relevait déjà de l’innovation. Aujourd’hui, un fossé sépare celles qui s’obstinent à utiliser des outils bureautiques obsolètes et celles qui ont adopté des systèmes « AI-native », capables de compenser la pénurie de talents et d’améliorer la productivité.
Ainsi, la compétence la plus précieuse consiste à savoir quand et comment utiliser les bons outils, et à s’adapter plus vite que les autres. Ce ne sont pas les outils qui font le succès d’une entreprise, mais sa manière d’en tirer parti.
Selon une étude récente de Dext, la grande majorité des PME françaises (82 %) gèrent encore leur comptabilité manuellement, et elles ne sont que 23 % à avoir adopté un logiciel de comptabilité automatisé. Cette réticence est particulièrement marquée dans les entreprises accompagnées par les petits cabinets comptables aux méthodes de travail plus traditionnelles.
Une profession en quête d’une nouvelle jeunesse
Côté attractivité, l’Ordre des experts-comptables tire la sonnette d’alarme : près de 4 000 postes restent à pourvoir chaque année, et l’âge moyen des experts-comptables reste élevé, avec 42 % de la profession dans la tranche des 50-65 ans, et seulement 21 % de moins de 40 ans.
Les raisons de ce désintérêt sont multiples : rémunération jugée insuffisante, charge de travail élevée, manque de flexibilité. Pourtant, l’IA pourrait bien changer la donne. Et si, au lieu de voir l’automatisation comme une menace, la profession y voyait une opportunité de rendre la comptabilité plus attractive pour les jeunes générations ?
Les jeunes professionnels, natifs du numérique, sont familiers des outils intelligents et de l’automatisation. Ils peuvent jouer un rôle moteur dans l’évolution du métier, en aidant les cabinets à rester à jour sur les nouvelles fonctionnalités et à tirer le meilleur parti des innovations.
Grâce à l’IA, la comptabilité devient un métier plus orienté vers le conseil, et moins répétitif. En réduisant la charge liée aux processus manuels et en comblant le manque de main-d’œuvre, l’IA crée un environnement de travail plus stimulant et plus aligné sur les aspirations des jeunes talents.
Vers un métier de conseil
L’adoption de l’IA a surtout de la valeur si on s’en sert pour libérer du temps, combler les écarts de compétences et accroître la valeur ajoutée des experts-comptables.
Intégrée au flux de travail, l’IA automatise la collecte et le traitement des données. Libérés des tâches répétitives, les collaborateurs juniors peuvent ainsi se concentrer sur la validation et la vérification des résultats, tandis que les profils plus aguerris se recentrent sur le conseil stratégique, l’analyse de la performance, la planification financière ou fiscale, et l’accompagnement des clients dans leurs prises de décision.
Les cabinets qui adoptent cette approche pourront évoluer vers un rôle de partenaire stratégique, anticipant les besoins et identifiant les opportunités en temps réel. Ce repositionnement permet aussi d’impliquer les jeunes collaborateurs dans des missions à plus forte valeur ajoutée, favorisant leur engagement et leur fidélité envers la profession.
L’ère de la vitesse
Aujourd’hui, les clients s’attendent à ce que leurs demandes soient traitées sans délai, à des conseils proactifs et à des expériences fluides. Les grandes entreprises du numérique comme Amazon ou Uber ont redéfini les standards de rapidité et de service. Les cabinets comptables, même de petite taille, ne peuvent plus ignorer ces nouvelles normes.
L’IA offre la possibilité de mettre toutes les entreprises sur le même niveau, en permettant à toutes les structures d’opérer avec plus d’efficacité et d’agilité. En automatisant la facturation, la paie ou la gestion des devis, les cabinets peuvent consacrer davantage de temps à la relation client et à la stratégie.
Ainsi, l’adoption de l’IA ne procède pas à un remplacement de l’humain, mais participe à amplifier son rôle. Les cabinets en phase avec cette vision disposent d’un avantage décisif : celui d’attirer les meilleurs talents, de combler les écarts de compétences et redéfinir le futur d’une profession en pleine mutation.
