Bitcoins et autres cryptos : comment les comptabiliser dans votre bilan ?

Décryptages
Outils
TAILLE DU TEXTE

julien-mimoun-expert-comptable-mr-capitalUne tribune de Julien Mimoun, cofondateur et associé du cabinet d'audit et de conseil dédié à l'innovation MR CAPITAL. Quel traitement comptable pour les bitcoins et autres crypto-monnaies ?

Au milieu de l’engouement suscité par les crypto-monnaies ou « monnaies virtuelles » au cours des derniers mois, se pose la question bien réelle de leur traitement comptable.

En effet, des flux non négligeables de cryptos se retrouvent aujourd’hui être la propriété de sociétés commerciales ou associations, par le biais de différents opérations (paiements, dons, trading, ICO…).

Avec ces flux naît aujourd’hui la problématique de leur traitement comptable, et cela en l’absence de toute norme ou réglementation des autorités compétentes (ANC, CNCC…) qui viendrait éclairer les professionnels du chiffre sur les best practices à adopter en la matière.

Face aux demandes de plus en plus fréquentes adressées à notre cabinet sur le sujet, nous avons décidé de nous pencher sérieusement sur la question et de nous faire notre propre religion sur le sujet. Car in fine il faudra bien comptabiliser ces éléments dans les comptes de clôture un jour ou l’autre.

Dans une situation de flou juridique comme celle-ci, il est tentant d’appliquer l’adage « if there’s no rule, then make the rule ». Notre point de vue n’est cependant pas de créer la règle, mais d’appliquer à de nouvelles problématiques, des règles déjà existantes.

Mais attention, cette absence de réglementation précise nécessite d’être très prudent dans notre approche. Cette dernière utilise principalement un raisonnement par analogie, déduction et/ou par élimination.

Même en l’absence de toute réglementation à ce sujet, nous ne prenons pas beaucoup de risque en affirmant que le solde d’un portefeuille libellé en cryptos détenus par une société commerciale constitue, selon nous, un élément de l’actif de cette dernière.

En effet, si l’on se réfère à l’article 211-1 du Plan Comptable Général (PCG), peut être inscrit à l’actif des états financiers, tout élément qui satisfait aux critères suivants :

  • être un élément identifiable du patrimoine de la société ;
  • avoir une valeur économique positive ;
  • être contrôlé par l’entité ;
  • être porteur d’avantages économiques futurs.

Il apparaît selon nous cohérent à la vue de la définition ci-dessus, de classer les cryptos à l’actif du bilan de la société qui les possède. Reste à savoir maintenant à quel poste de l’actif nous pouvons les affecter.

Ce que les cryptos ne sont pas

Nous évoquons ci-après les classifications comptables qui ne peuvent pas être retenues, selon nous, pour la comptabilisation des cryptos, au regard d’une interprétation stricte des règles comptables en vigueur. Cela ne signifie pas pour autant que le débat est clos et que les acteurs qui ont opté pour ces classifications ont complètement tort. Chaque classification présentée ci-dessous présente en effet de nombreux points communs avec les cryptos.

Les cryptos ne sont pas du cash

Malgré les similitudes évidentes, les cryptos ne peuvent pas être considérées aujourd’hui comptablement comme des éléments constitutifs de la trésorerie dans les états financiers des sociétés commerciales.

La raison est la suivante : malgré le fait qu’elles peuvent être considérées par certains comme un moyen de paiement, elles n’ont à ce jour « cours légal » dans aucun pays, c’est-à-dire qu’il n’existe aucune obligation pour les commerçants de les accepter, contrairement aux devises telles que l’euro qui constitue la seule monnaie ayant cours légal en France.

Par ailleurs, il semble difficile de considérer comme étant du cash des sommes qui ne sont pas domiciliées au sein d’un établissement bancaire.

Ni des équivalents de trésorerie

Ce poste concerne les éléments qui ne sont pas de la trésorerie à proprement parler, mais dont la nature et la forte liquidité permettent d’être rapidement convertis en trésorerie. C’est le cas notamment des parts d’OPCVM (et principalement les SICAV) et autres titres financiers, qui sont facilement cessibles sur un marché réglementé ou de gré-à-gré.

Afin d’être classifiés comme « équivalents de trésorerie », il convient de s’assurer que les titres en question ont été acquis dans une optique de revente à court terme. Dans le cas contraire, c’est-à-dire lorsqu’il y a volonté de conservation des titres de manière durable, on classera ces éléments en « immobilisations financières ».

Dans notre cas, l’existence d’un marché d’échange ne permet pas à lui seul de faire rentrer les cryptos dans cette catégorie. En effet, seuls les éléments considérer comme « titres financiers » y figurent. Le Code monétaire et financier (art. L. 211-1) définit les « titres financiers » comme étant :

  • soit des titres de capital émis par les sociétés par actions ;
  • soit des titres de créances ;
  • soit enfin des parts ou actions d’organismes de placement collectif.

Les cryptos n’entrant dans aucune des trois catégories ci-dessus, elles ne peuvent légalement pas être considérées comme des éléments d’équivalent de trésorerie.

Et encore moins des immobilisations financières

Par simplification, ce poste désigne les actifs financiers détenus par l’entreprise et destinés à être conservés de manière durable dans l’entreprise, dans l’optique d’en retirer des avantages économiques futurs. Ces avantages peuvent être obtenus soit par la revente des actifs (plus-value), soit par le fruit que l'entreprise tire de son titre de propriété (dividendes, coupons, intérêts…).

De la même manière que pour les équivalents de trésorerie, cette classification est réservée aux titres financiers et exclut de fait les cryptos pour les raisons énoncées précédemment.

Ce que les cryptos pourraient être

Nous avons vu jusqu’ici les classifications comptables qui ne nous semblent pas pertinentes pour la comptabilisation des cryptos, si l’on applique strictement les règles comptables existantes à ce jour.

Nous allons à présent voir quelles sont les options envisageables selon nous, et dans quels cas elles peuvent s’appliquer.

Du stock dans certains cas

Selon la définition du PCG (art. 211-7), un stock est « un actif détenu pour être vendu dans le cours normal de l’activité […] ou destiné à être consommé dans le processus de production ou de prestation de services, sous forme de matières premières ou de fournitures ».

La définition ci-dessus tend à s’appliquer selon nous dans le cas d’une société commerciale exerçant à titre principal une activité d’achat/revente et concerne donc principalement les plateformes de trading de cryptos.

Nous pourrions également étendre le champ d’application à des sociétés qui ont comme principale activité le « minage » (création / émission) de cryptos.

Plus probablement une immobilisation incorporelle

Même si d’un point de vue opérationnel, les cryptos s’apparentent plutôt à des instruments financiers, d’un point de vue purement « réglementaire », leur nature les rapproche sensiblement des immobilisations incorporelles, telles que définit par le PCG (art. 211-5).

En effet, le plan comptable dispose qu’une immobilisation incorporelle est « un actif non monétaire sans substance physique ». L’absence de substance physique est une des caractéristiques principales des crypto-monnaies, on parle effectivement de « monnaies virtuelles » ou de manière plus officielle, « d’unités de compte virtuelles stockées sur un support électronique » comme défini dans le Bofip (Bulletin Officiel des Finances Publiques  - 11/07/2014).

Le qualificatif de « non monétaire » découle quant à lui de l’absence de cours légal des cryptos, sujet déjà évoqué précédemment.

Une fois ce raisonnement accepté, reste la problématique de l’évaluation du portefeuille.

D’après la méthode du coût historique, l’un des principes comptables phares énoncés par le PCG, les éléments doivent être inscrits à l’actif du bilan à leur valeur d’acquisition, c’est-à-dire le prix payé au moment de l’achat.

Un autre principe comptable, le principe de prudence, interdit par la suite toute réévaluation à la hausse des actifs inscrits au bilan en fonction de leur valeur de marché (la réévaluation n’est en effet possible que pour les immobilisations financières et corporelles, dans certains cas).

Autrement dit, une société qui aurait reçu 10 Bitcoins en octobre 2015 lorsque le cours n’était encore qu’à 300 dollars/BTC, doit inscrire ses cryptos à l’actif de son bilan pour une valeur de 3 000 dollars, y compris dans ses comptes de clôture au 31 décembre 2017, lorsque le cours du bitcoin s’établissait à environ 15 000 dollars/BTC (soit une valeur réelle de marché à 150 000 dollars).

A l’inverse, il est cependant possible selon les normes comptables françaises de tenir compte de la baisse de valeur de marché des actifs incorporels inscrits au bilan, en comptabilisant une provision pour dépréciation qui vient ramener la valeur de l’actif à sa valeur de marché au moment de l’établissement des comptes.

En conclusion

La question de la qualification juridique (et par extension comptable) des crypto-monnaies n’étant pas encore tranchée en France, les professionnels du chiffre demeurent dans une incertitude plus que grandissante. Parallèlement à cette incertitude, la démocratisation des cryptos se poursuit un peu partout dans le monde et touche aujourd’hui la sphère des entreprises, créant ainsi de nouvelles problématiques, notamment des problématiques comptables. Il est donc urgent que le législateur et/ou les autorités de régulation de la profession comptable se penchent sur la question afin d’éclaircir la zone grise dans laquelle les professionnels et les entreprises se situent aujourd’hui, afin d’y apporter un peu plus de clarté.

Julien Mimoun, cofondateur et associé du cabinet d'audit et de conseil MR CAPITAL

Les Annuaires du Monde du Chiffre