Quand l'entreprise va mal, souvent le chef d'entreprise va mal aussi. Rémi Gourrin, associé Baker Tilly France, explique que des dispositifs existent pour soutenir les dirigeants dans des périodes qui sont parmi les plus dures de leur vie. A utiliser sans modération.
La fameuse solitude du chef d'entreprise n'est jamais pire qu'en période de difficulté. Dans la vie courante, pour prendre les décisions importantes, c'est lui et lui seul qui décide. Il est habitué. En revanche, dans le cas de grandes difficultés, le contexte change.
Accepter de parler
Même les chefs d'entreprise les plus solides peuvent s'écrouler dans les périodes de grandes difficultés économiques. En général, cela n'arrive pas d'un seul coup. Une baisse de commandes suivie d'une période de sous-activité, puis les finances se creusent et les dettes s'accumulent. Il n'est pas rare que, voulant absolument croire au redressement de son entreprise, le dirigeant ait réinjecté de l'argent, en pure perte. Les soucis provoquent une grande fatigue, une sur-occupation, une humeur changeante. Au moment où la chute s'amorce, le conjoint, après avoir puisé dans ses dernières ressources, est tenté de demander le divorce. Parcours malheureusement assez classique.
Lorsque le dirigeant se retrouve au tribunal de commerce, où il doit, en plus, s'expliquer sur sa gestion, cela peut représenter pour lui une épreuve insurmontable. Certains, notamment en période de crise, n'ont trouvé comme solution ultime que de mettre fin à leurs jours.
Pour éviter d'en arriver là, évidemment, il faut accepter de parler. Plus la descente aux enfers s'accélère, moins le dirigeant n'aura de clairvoyance. Il devra impérativement accepter de se faire aider, le plus en amont possible.
L'expert-comptable, premier recours en cas de difficultés
Le chef d'entreprise va se tourner en premier lieu vers son expert-comptable. Pour Rémi Gourrin : « L'expert-comptable n'est pas un psychologue, mais il doit être proche de son client. Si on ne communique que par mail, la détresse du dirigeant ne pourra pas être décelée. Les contacts terrain sont irremplaçables si l'on veut être efficace pour éviter les situations fatales ».
La mission de l'expert-comptable consiste, professionnellement, à accompagner le chef d'entreprise pour l'aider à anticiper les difficultés de l'entreprise. Lorsqu'un dirigeant pousse la porte du Tribunal de Commerce, il est perdu, dans un univers qu'il n'a jamais côtoyé. L'expert-comptable peut accompagner son client dans les méandres de procédures qu'il maîtrise mal.
La mission de l'expert-comptable jalonne la vie de l'entreprise et il est souvent la première personne à connaître la situation de son client. Il est une sorte de « sentinelle » qui détecte la détresse psychologique très tôt, en identifiant les difficultés, sans pour autant porter de jugement. L'attitude positive et la lucidité du professionnel du chiffre permettent souvent de trouver les solutions adéquates. Il va rassurer son client, mais n'est en aucun cas un psychologue et le chef d'entreprise doit le comprendre. L'empathie n'est pas non plus la bonne démarche. Il doit donc rester professionnel et continuer à s'occuper des problématiques liées à la gestion, tout en adoptant les bons réflexes qui permettent d'échanger avec son client. Avouer ses problèmes psychologiques, pour un chef d'entreprise, est souvent un constat d'échec qu'il refuse d'admettre. Lui faire dire pour l'orienter vers les structures compétentes n'est donc pas aisé, mais construit, parfois, le premier pilier de la reconstruction.
Un dispositif de soutien aux dirigeants en grande détresse
Au sein du tribunal de commerce de Saintes, Marc Binnié, greffier, s'est trouvé lui aussi confronté à la détresse psychologique des chefs d'entreprise. Il a constaté que les professionnels des juridictions consulaires se trouvent souvent démunis pour leur apporter l'aide humaine dont ils ont besoin.
Il est co-fondateur, avec Jean-Luc Douillard, psychologue clinicien, d'Apesa : Aide psychologique aux entrepreneurs en souffrance aiguë. Ils ont fédéré tous les professionnels exerçant auprès des entreprises en difficultés, experts-comptables, avocats, mandataires, huissiers, banquiers... autour d'une même cause, la prise en compte de la détresse psychologique dans leurs exercices professionnels.
Ce dispositif a plusieurs objectifs : informer le chef d'entreprise sur les risques, proposer des formations sur la problématique du suicide, envoyer des fiches alertes vers un réseau de psychologues, constitué par Apesa France, spécialisés dans la prévention du suicide et informés des procédures de traitement des difficultés des entreprises.
Ce dispositif s'étend à de nombreux tribunaux de commerce. Les chefs d'entreprise doivent le savoir et ne pas hésiter à y faire appel.
Une solidarité efficace pour venir en aide aux dirigeants
L'entourage du chef d'entreprise ne sait pas toujours détecter les signes avant-coureurs d'une grande détresse. Par exemple, un dirigeant qui va très mal, qui est « au bout du rouleau », peut, un jour, arriver très bien habillé, en forme, et affirmer que tout est réglé. C'est le moment le plus dangereux : c'est, peut-être, parce qu'il a tout prévu pour organiser ce qu'il estime être la solution ultime.
Comment la complémentarité entre l'expert-comptable, les tribunaux de commerce et l'Apesa s'organise-t-elle concrètement ? Une fois formé, l'expert-comptable est en mesure d'aborder simplement si nécessaire ce thème de la souffrance morale et « des idées noires » avec son client et de lui expliquer en quoi consiste le dispositif Apesa. Cette aide est presque toujours acceptée et, avec l'accord de l'entrepreneur, une fiche alerte est transmise au réseau Apesa. Les cinq premiers entretiens avec un psychologue sont gratuits pour la personne en souffrance et financés par des structures associatives locales.
Les experts-comptables et leurs équipes devraient tous suivre la formation proposée par Apesa France, dont Baker Tilly France est le partenaire depuis 2015. Le plus important dans la posture de l'expert-comptable : ne jamais porter de jugement, et rester lucide tout au long de la démarche. Si l'entreprise doit être liquidée quand plus rien n'est possible, l'affect ne doit jamais prendre le dessus. L'accompagnement humain, en revanche, est essentiel.
Rémi Gourrin, Associé Baker Tilly France