Point de vue de Charles-René Tandé, prédident de l'IFEC, sur le projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques.
On ne peut s'empêcher d'avoir le sentiment d'un rendez-vous manqué, qui va immanquablement retarder l'évolution, pourtant nécessaire, de notre métier. On ne peut que le regretter, tout particulièrement dans cette période où les entreprises et l'économie du pays ont tant besoin d'union et de cohérence. La loi Macron nous déçoit, parce que nous avions placé en elle un certain nombre d'espérances. Il faut reconnaître que les discussions que nous avons eues depuis plusieurs mois lors de nos différents échanges avec les pouvoirs publics nous avaient confortés dans l'espoir d'être entendus. Pourtant, le texte adopté aux forceps par le Parlement nous laisse sur notre faim.
Il faut certes toujours voir les points positifs. Nous en noterons donc un : la perspective enfin envisageable pour les experts comptables d'intégrer une structure interprofessionnelle que nous appelions depuis longtemps de nos vœux. Un acquis cependant incomplet, puisque l'interdiction faite aux commissaires aux comptes de participer à une telle structure demeure, et traduit une volonté limitatrice peu en accord avec celle de libérer les énergies.
En matière d'inter-professionnalité, nous défendions l'idée d'un véritable mariage de raison et d'intérêt entre les professions juridiques, celle d'avocat au premier rang d'entre elles, et ce qu'il est convenu d'appeler les professions du chiffre. L'idée était de créer un guichet unique comme il en existe dans d'autres pays ou dans d'autre secteurs d'activité, pour le plus grand bien d'entreprises trop souvent condamnées dans notre pays à se perdre dans le dédale d'institutions, d'administrations et de professions centrées sur leur cœur de métier et frileuses à toute idée d'association ou de mise en commun. Nous avons toujours privilégié à la concurrence les complémentarités qu'il pouvait y avoir entre nos différentes professions, notamment parce que nous sommes intimement persuadés que cette vision est bien plus porteuse de dynamisme et d'activité pour tous.
Dans un monde législatif et réglementaire de plus en plus complexe, l'alliance équilibrée du juridique et du comptable est l'une des conditions d'un service de qualité rendu à nos clients. L'idée de croiser nos participations, de rendre possible la réciprocité des ouvertures de capitaux -seulement possible aujourd'hui pour l'avocat chez l'expert comptable et interdite dans le sens inverse- allait dans le même sens, nous paraissait juste et cohérente et utile pour le développement de nos deux professions. Comment ne pas regretter que les pressions de quelques-uns aient réussi à faire avorter cette réforme, au nom d'une argumentation qui ne sert que l'immobilisme et le conservatisme? Déception, donc, sur le registre de l'inter-professionnalité. Sur la question du périmètre de notre action également. Pour toutes ces raisons, le texte que vient de voter le Parlement ne peut que nous paraître inachevé.
Mais pourquoi un tel écart entre les discussions initiales et la version finale de ce projet de loi qui avait pour ambition de libéraliser l'économie et de libérer les énergies? Le Ministre de l'économie nous avait pourtant assuré de son soutien, fin 2014, quand il nous avait appelé à devenir "les ambassadeurs des réformes économiques du gouvernement et les artisans de la transparence et de la pédagogie", d'aucuns ont sans doute cru qu'il n'aurait rien à nous refuser. Excès d'optimisme. Défaut d'orgueil. Nos représentants ont sans doute oublié la part de prudence qui s'impose dans les couloirs de la politique jusqu'au vote final.
Dans le même esprit, il n'est pas défendu de s'interroger sur la façon dont ces mêmes qui étaient supposés défendre nos intérêts l'ont fait. Semblant rallumer une guerre inutile avec les avocats alors même qu'une tentative de concertation sereine et préalable semblait l'option la plus raisonnable. Pourquoi ne pas avoir plutôt cherché un terrain d'entente plutôt que d'agiter le drapeau rouge sous leurs yeux...Nous sommes habitués chaque jour sur le terrain à nous confronter parfois, mais le plus souvent à nous entendre. Sans doute eut-il été judicieux de ne point l'oublier.
Malgré ces déceptions, nous continuerons à nous battre pour des propositions que nous trouvons justes. Pour que chacun, avocats, notaires, experts comptables, tous au service des entreprises, et l'ensemble des Français y trouvent leur compte, même si, à nos yeux, pour l'heure, il n'y est pas.
Charles-René Tandé
Président national de l'Institut Français des Experts-Comptables et des Commissaires aux Comptes (IFEC)