Cabinets comptables : mutations profondes et opportunités d’évolution

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Une tribune de Grégoire Cléry, Directeur marché expertise comptable chez Libeo.

A l’ère de la digitalisation des PME et de la transition écologique, les cabinets d’expertise comptable doivent se réinventer sur le plan de leur offre, de leur business model et de leurs compétences. Cette mue stratégique exige une réflexion approfondie sur l’évolution de la mission d’un expert-comptable. Celui-ci doit travailler en respectant la réglementation applicable et à venir (facturation électronique obligatoire d’ici 2024), tout en dessinant les contours d’une nouvelle proposition de valeur qui doit tenir compte de la nécessaire digitalisation des PME, mais aussi des injonctions à faire mieux et plus vite en lien avec des enjeux sociétaux transversaux (transition écologique) et spécifiques aux métiers de service (évolution des modèles de BPO, etc.).

Le rôle des experts-comptables est donc appelé à s’éloigner des tâches à faible valeur ajoutée pour migrer vers une vérification de ce travail « précomptable » fait en amont. Il faudra alors éviter une disruption métier provoquée par les outils, bien que la techno dépendance de la profession soit devenue inéluctable à l’heure actuelle.

De la production d’éléments comptables à l’analyse stratégique de données

L’exploitation de la data représente à la fois un vivier d’opportunités fécond pour les cabinets d’expertise comptable mais aussi un défi d’envergure. En effet, la profession est souvent mieux préparée à exploiter les données fournies par ses clients que celles détenues en interne, nécessitant d’être nettoyées et modélisées en amont. Pour bien faire, il est essentiel d’étendre ses propres données à des bassins de data plus génériques afin d’apporter un conseil plus ciblé aux clients en fonction de leurs métiers et domaines d’activité. Par ailleurs, s’il existe bien un cadre pour les données personnelles avec le RGPD, il n’y a pas de corpus réglementaire sur l’exploitation des données d’entreprise. Il est crucial pour les experts-comptables de savoir dans quel cadre réglementaire ils peuvent gérer et exploiter ces données. Pour mémoire, le standard Factur-X sera obligatoire d’ici 2024.

Le changement étant fort et contraint, on peut légitimement se demander s’il faut commencer par une transformation RH avant de se pencher sur le sujet des outils à déployer ou bien s’il est pertinent de mener ces deux actions en parallèle ? De nouvelles compétences, comme celles d’ingénieurs, devront être recherchées pour mener à bien cette transformation de l’offre et du business model. S’adjoindre l’aide de partenaires ou de sous-traitants experts d’un sujet en lien avec cette nouvelle offre à bâtir sera sans doute une étape incontournable. Des budgets de formation ad hoc devront aussi être sanctuarisés sur la durée afin d’accompagner les équipes existantes et d’intégrer de façon optimale les nouvelles recrues. Enfin, outre le recrutement de nouveaux profils d’experts-comptables et d’auditeurs au sein des cabinets, il faudra renforcer et cultiver une interconnexion étroite avec les clients.

Avoir un socle minimal auquel on ajoute des services spécifiques en fonction des besoins des clients semble être un bon point de départ d’une réflexion sur le « full service ».

Aller vers le « full service » dans un écosystème plus intermédié

L’adoption de la facture électronique est un passage obligé aux nombreux enjeux réglementaires et de mise en conformité. Son déploiement risque néanmoins dans un premier temps de provoquer quelques inefficiences opérationnelles en matière de gestion. Par conséquent, les cabinets s’interrogent sur la façon dont les process doivent être redessinés entre eux et leurs clients. Cette mue pointe vers deux directions : réaliser de nouvelles missions et tenter d’apporter plus de valeur ajoutée.

Les aspects de saisie de données sont appelés à disparaître en partie, tandis que d’autres pans du métier se développent. Les experts-comptables peuvent ainsi proposer aux entreprises un service d’accompagnement sur les contrôles et audits financiers car ils en maîtrisent les outils et les process. Mais cette évolution de leur positionnement doit s’accompagner d’une mesure des risques, notamment ceux liés à la maîtrise de la data et à la dépendance vis-à-vis des plateformes.

En interne, cette mue nécessite une réflexion sur l’organisation des RH et sur les types de profils à recruter pour faire face à ces changements profonds. Faudra-t-il recruter, par exemple, des contrôleurs de flux connaisseurs de l’architecture des SI plus que des experts-comptables habitués à un travail de saisie de données ? Certains cabinets ont mis en place des formations de « data controler » pour anticiper ce besoin et être en mesure d’expliquer les nouvelles contraintes du métier aux clients. La facture électronique va entraîner la disparition de 15 à 20 % du temps de travail des collaborateurs. Pour répondre à un enjeu de fidélisation des talents, il faudra les accompagner pour éviter du stress inutile et leur offrir des perspectives d’évolution, à travers la formation notamment. Les compétences commerciales et relationnelles seront essentielles.

Protection des honoraires et choix technologiques

A court terme, aucune tendance baissière n’est à redouter car les clients continueront d’avoir besoin d’être accompagnés de façon étroite et forte. La principale difficulté sera de bien anticiper l’offre de services correspondante. Si les experts-comptables ne font pas évoluer leurs prestations, ils risquent d’être dépassés par de nouveaux entrants avec une offre de valeur différenciante, accompagnés d'outils technologiques et susceptibles de proposer de nouveaux services. De leur côté, les clients seront tentés de challenger les cabinets d’expertise comptable sur les gains de temps réalisés grâce à la facture électronique et de demander des révisions de tarifs, d’où l’importance de définir une nouvelle offre et de quantifier cette nouvelle proposition de valeur. L’utilisation de nouvelles technologies pourra être une aubaine dans la sécurisation de nouvelles missions proposées, ainsi qu’une nouvelle source de revenus, à travers la proposition d’abonnements notamment.

Le choix de la plateforme de facturation à mettre en place au sein des cabinets pose des questions notamment de captation et de partage de la valeur avec les éditeurs de plateformes. Il y a une grande variété d’acteurs sur ce segment. La relation entre les cabinets et les éditeurs sera sans doute appelée à évoluer. Les experts-comptables vont-ils devenir des gestionnaires de flux ? C’est un risque à prendre en compte. Les pouvoirs publics sont censés préciser le cahier des charges applicable à une plateforme publique. Pour l’instant, le type de données à transmettre et la technologie applicable, comme l’IA et la codification traditionnelle, restent à préciser. La publication de la liste des plateformes agréées est prévue en septembre 2023 et près de trois millions d’entreprises françaises devraient faire leur choix d’ici juillet 2024.

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