Décidemment pas si simple ces délais de paiement...

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Alors que les députés européens viennent d’adopter en première lecture, mercredi 20 mars, le règlement visant à réduire les délais de paiement, Olivia Grégoire, ministre déléguée chargée des entreprises, du tourisme et de la consommation a aujourd’hui, dans une interview accordée à Europe 1-CNews, défendu les PME en les opposant aux plus grandes qui seraient, selon elle, responsables des retards de paiement.

Elle avait déjà, le jour du vote au parlement européen, utilisé cette rhétorique en affirmant « Chez beaucoup de nos petites entreprises, il y a ce sentiment qu’il n’y en a toujours que pour les plus grands et que ce sont eux qui paient les pots cassés et les délais de paiement en sont le meilleur exemple. » Olivia Grégoire remplit là pleinement son rôle de ministre délégué aux TPE-PME, mais est-ce si simple que cela ? Les retards de paiement sont-ils le seul fait des grandes entreprises au détriment des petites ? Et, si nouvelle norme il y a, cela serait-il effectivement bénéfique aux TPE-PME ? Pas si simple si on en croît l’étude d’impact d’Altares et LaRGE – Sciences Po Strasbourg.

Des PME globalement gagnantes mais...

A l’heure actuelle, en France, les délais clients avoisinent en moyenne 50 jours et les délais fournisseurs 60 jours. Dans le cas où la norme imposerait un délai unique de 30 jours, 71 % des microentreprises, 86 % des PME, 92% des ETI et 94% des grandes entreprises seraient impactées, les délais de paiement de leurs clients et/ou les délais de règlement de leurs fournisseurs y étant aujourd’hui supérieurs à 30 jours. En étant payées plus vite par leurs clients, ces entreprises bénéficieront de ressources liquides nouvelles. Mais en devant payer plus vite leurs fournisseurs, elles feront face à des besoins de financement nouveaux.

Pour la population des PME, les ressources nouvelles créées par le passage à 30 jours l’emporteraient sur les besoins nouveaux, de sorte que les PME pourraient bénéficier de quelques 14.4 milliards d’euros de ressources nettes. C’est également le cas, dans un moindre montant, pour les microentreprises et les ETI qui gagneraient, respectivement, 5,9 et 6,9 milliards d’euros de ressources nettes. En revanche, les grandes entreprises devraient supporter des besoins de trésorerie nouveaux pour près de 12,5 Milliards d’euros.

Mais si les besoins ‘non couverts’ sont essentiellement portés par de grandes entreprises, l’effort de financement est bien plus lourd pour les plus petites structures. Ainsi, pour les plus petites entreprises, le montant moyen des besoins nouveaux ‘non couverts’ exprimé en jours de chiffre d’affaires équivaut à plus de 3 mois de chiffre d’affaires (92 jours); à plus de 2 mois de chiffre d’affaires (68 jours) chez les PME, contre 1 mois en moyenne (35 jours) pour les grandes entreprises.

Le règlement permettrait-il une réduction des retards de paiement ?

De manière générale, l’observation des données de l'étude confirme que globalement les entreprises qui paient leurs factures en retard sont aussi celles dont les délais fournisseurs sont les plus longs. Cependant, la réduction des délais à 30 jours pourrait ne pas suffire à la réduction des retards de paiement. En effet, l’étude montre que, parmi les entreprises payant leurs fournisseurs en retard, seules celles bénéficiant de ressources nouvelles pourraient être en mesure de réduire leurs retards : les nouvelles ressources de trésorerie représenteraient pour elles en moyenne un gain, exprimé en nombre de jours d’achats, très supérieur au nombre de jours de retard que subissent actuellement leurs fournisseurs. Ainsi, les microentreprises «retardataires» gagneraient 82 jours d’achats leur permettant de couvrir les 19 jours de retard actuellement observés. La couverture serait de 72j vs 14 pour les PME, 72/15 pour les ETI et 67/18 pour les grandes entreprises.

En revanche, dans les entreprises devant financer des besoins nouveaux, il est difficile d’envisager qu’elles puissent à la fois supporter l’effort financier induit par les besoins nouveaux et réduire leurs retards de paiement. Pour Michel Dietsch, membre du LaRGE, « Ces changements remettraient en cause les équilibres de trésorerie qui prévalent actuellement dans les relations interentreprises et le rôle qu’y joue le crédit interentreprises. Au-delà de l’application de la norme, c’est l’équilibre de l’écosystème complet du financement des chaînes d’offre, qui associe clients, fournisseurs et financiers qui risquerait d’être remis en cause. Le projet de faire passer les délais à 30 jours rendrait sans conteste aux PME une partie de la liquidité qui leur est soustraite par des délais de règlement trop longs, mais c’est au prix d’un telle fragilisation d’une partie d’entre elles qu’on est en droit de se demander si les fournisseurs souhaiteraient réellement imposer des délais de règlement plus courts à leurs distributeurs. »

Aménagements apportés

Selon Thierry Millon, directeur des études de la société Altares, « moins d’une entreprise sur deux paie ses factures à l’heure en Europe (49,7% fin 2023) comme en France (48,3%). Le retard de paiement est naturellement un fléau contre lequel il faut lutter, néanmoins, ne confondons pas retard et délai de paiement. Certes par effet domino, l’allongement des délais clients se répercute sur les délais fournisseurs mais plus que le délai, c’est le non-respect de la date d’échéance qu’il convient de combattre. La proposition d’un plafonnement des délais à 30 jours vise, par ailleurs, à redonner de la liquidité aux PME, et là, pour nombre d’entre elles, l’objectif devrait être atteint. En revanche, pour d’autres, en particulier celles déjà fragiles qui devront payer plus rapidement leurs fournisseurs sans pouvoir accélérer le règlement des clients, des financements externes, pas toujours accessibles, seront indispensables. L’initiative européenne est louable mais nécessite probablement d’être assouplie pour tenir compte notamment de spécificités sectorielles.»

Il semble qu'il ait été entendu car, par rapport au texte initial, des amendements de compromis ont été apportés au règlement européen adopté le 20 mars. Si le délai de paiement à 30 jours reste la règle comme initialement prévu, il peut aller jusqu’à 60 jours à réception de la facture si le contrat inter-entreprises le prévoit expressément (voire 120 jours pour certains produits). Le texte sera ensuite soumis à l’Assemblée plénière du Parlement européen le 23 avril prochain, puis un accord du Parlement et du Conseil devra intervenir, très vraisemblablement après les élections européennes de cet été. Mais pour Olivia Grégoire, les retards de paiements « doivent cesser et nous n’hésiterons pas à continuer de taper au porte monnaie des entreprises, quitte à aller encore plus loin. Pour les mauvais payeurs, je souhaite augmenter les amendes [NDLR : les doubler selon ses propos dans une interview publiée le 20 mars dans Les Echos] et recourir plus régulièrement au Name & Shame » de la DGCCRF.

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