Une tribune d'Olivier Meier, Professeur des Universités, et Martine Story, Fondatrice du cabinet Althéo.
Nous vous livrons ici un mini-cas particulièrement intéressant qui combine acquisition horizontale, expansion géographique, personnalité du dirigeant cédant et un mode d’intégration par rationalisation.
L'acquisition de Donati par Austin, un leader mondial de la cosmétique, relève d’un modèle de fusion-absorption structuré, avec des procédures claires qui définissent une direction managériale et culturelle précise. La société Austin a toujours été un adepte des fusions-acquisitions internationales, utilisant cette stratégie de croissance pour se développer et devenir un acteur majeur dans plus de cent pays. L'acquisition de Donati, une marque innovante japonaise, spécialisée dans les parfums bio et les emballages personnalisables et respectueux de l'environnement, est une opportunité pour Austin d'élargir sa présence au Japon et dans toute la région Pacifique.
Il reste à convaincre le dirigeant, Takeshi, créateur de génie et figure emblématique au Japon, âgé de 63 ans et très proche de ses équipes, de vendre son entreprise. Ce dernier hésite, il est partagé. Il est bien sûr flatté, et convaincu qu’Austin, l’un des plus prestigieux groupes mondiaux de la cosmétique, pourra poursuivre et accélérer le développement de l’entreprise qu’il a créée. C’est également pour lui l’occasion de réaliser une très belle opération financière et de valoriser trois décennies d’innovations produits. D’un autre côté, céder son entreprise à Austin signifie perdre son indépendance, accepter de ne plus peser sur les décisions stratégiques de la société, et quitter l’entreprise, après une période d’accompagnement de deux ans. Après avoir mûrement réfléchi et consulté son entourage, la raison l’emporte. Il accepte la proposition d’Austin.
Mais Austin reste bien sûr conscient que la réussite de l'intégration post-acquisition dépend fortement de l'engagement du dirigeant de la société acquise et de sa capacité à agir en tant qu'ambassadeur du projet d'entreprise auprès de ses équipes, et de rassurer les salariés sur des points sensibles : départ du dirigeant charismatique, risques de doublons, craintes de réorganisation en interne. Chez Austin, la transparence est primordiale : le plan de développement est présenté au cédant bien avant le closing, évitant ainsi toute surprise pour le fondateur. Une fois l'acquisition finalisée, le nouveau projet d'entreprise est révélé aux employés pour les embarquer dans cette nouvelle aventure. Benjamin, le Chief Integration Officer d'Austin, joue un rôle essentiel dans ce processus. Il supervise toutes les décisions d'acquisition et gère la politique d'intégration. Benjamin a entrepris pour cela un travail colossal de plusieurs années, pour remodeler le processus d'intégration, en misant sur des règles claires et précises via de nombreux échanges et discussions et la volonté de bâtir un socle culturel commun, notamment quand les métiers regroupés sont semblables ou très proches. Ici, la culture sectorielle ou métier doit l’emporter sur la culture organisationnelle, car ce qui compte avant tout, ce sont l’expertise, la transparence, les préoccupations environnementales et l’orientation clients. Une fois l’opération finalisée, Donati reporte au patron du Japon pour les activités fonctionnelles et au patron de la division parfums pour toutes les décisions marketing et stratégiques, tout ce qui relève spécifiquement de la marque, selon une organisation matricielle qui se révèle efficace.
Que retenir de ce cas emblématique ?
Martine Story : L'acquisition de Donati par Austin est un exemple d'intégration par rationalisation. Tous les processus de Donati sont réformés selon les normes d'Austin, affectant tous les services, tout en conservant la marque Donati pour sa notoriété et son actif stratégique. L'acquisition vise à renforcer la présence d'Austin au Japon et dans la région Pacifique, tout en bénéficiant de l'expertise unique de Donati dans les parfums bio et les packagings personnalisables et écoresponsables. Au fil du temps, Austin a façonné son modèle d'intégration selon un principe de rationalisation, créant ainsi le rôle de Chief Integration Officer. Cette méthodologie permet de maintenir l'identité des marques tout en uniformisant les processus. L'aspect remarquable de l'approche d'Austin est sa capacité à combiner des éléments apparemment contradictoires : l'application de processus rigoureux et précis, ainsi que le respect des valeurs et des équipes. Ces valeurs communes facilitent l'intégration de sociétés de tailles et cultures différentes. Le modèle d'Austin repose sur un play book unique de plus de 400 pages, déployé dans le monde entier. Le dispositif d’intégration est désormais mis en œuvre, selon la même méthodologie, quelles que soient la nature de l'acquisition et les spécificités de la cible.
Olivier Meier : Ce cas est source d’enseignements quant à la façon de mener une politique d’intégration. Il met tout d’abord en lumière l’importance de la personnalité des dirigeants lors de stratégies d’acquisition et l’attachement des collaborateurs à la figure du chef (éléments d’identification et d’appartenance). Le cas met également en avant la situation dilemme à laquelle est confronté tout acheteur, à savoir : quel degré d’autonomie accorder à l’entité acquise ? Quelles formes d’interdépendances stratégiques privilégier ? L’intégration par préservation s’avère en effet efficace, lorsque les sociétés acquises relèvent de culture et de métiers très différents et que l’acquéreur souhaite avant tout s’orienter vers une stratégie de diversification ou de placement à moyen terme. L’expérience de l’acquéreur semble ici avoir joué un rôle important. Il semble en effet ici que l’acquéreur souhaite avant tout fédérer l’ensemble des entités vers un modèle de développement et d’organisations semblables, capables de créer des synergies (intégration d’une nouvelle marque et complémentarité géographique). L’interdépendance stratégique est donc ici favorisée. Elle prend la forme d’une politique d’intégration par rationalisation, en raison des objectifs retenus (acquisition horizontale avec un cédant convaincu et n’ayant pas de successeur naturel), la culture de l’acquéreur (groupe international, leader sur son marché) et une volonté affirmée de proposer des offres de standards de qualité très élevés (contrôle de la politique produit, choix et sélection des fournisseurs, essais et tests systématiques, distribution sélective...).
Ce cas illustre parfaitement les modalités d’une intégration managériale élaborée selon un modèle de rationalisation.