Jean-Luc Flabeau : « Cet article 9 bis A du projet de loi PACTE pulvérisera les principes d’indépendance et de séparation de l’audit et du conseil »

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Par un communiqué du 3 avril 2019, le syndicat ECF dénonce l'article 9 bis A du projet de loi PACTE : « un article scélérat dans le projet PACTE remet totalement en cause la séparation de l’audit et du conseil ». Jean-Luc Flabeau, Président d'ECF, explique pourquoi il veut mobiliser ses confrères.

Jean-Luc Flabeau, vous venez d’envoyer une communication alarmante à la profession sur l’article 9 bis A du projet de loi PACTE. Vous parlez d'« effet disruptif et concentrateur » pour la profession. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Un commissaire aux comptes qui pourra quasiment tout faire pour son client, c’est disruptif. Un commissaire aux comptes qui pourra faire des attestations sur de nombreux domaines dans des missions autonomes auprès d’entreprises non clientes, c’est aussi disruptif. Cet article 9 bis A, s’il est retenu dans la future loi PACTE, pulvérisera, à lui tout seul et en quelques traits, les principes d’indépendance et de séparation de l’audit et du conseil. Il déclenchera une totale confusion des missions et rôles des experts-comptables et commissaires aux comptes.

Quant à la concentration du marché, il est évident que les seuls gagnants de PACTE seront les grands réseaux puisqu’ils seront, d’ici quelques années, les interlocuteurs essentiels dans les groupes de sociétés et ETI. Avec ce texte, les Big pourront répondre à quasiment toutes les demandes puisqu'avec la suppression de situations interdites, il n’y aura plus de cas d’incompatibilités.

Mais le gouvernement motive son action en rappelant que cet article 9 bis A n’est que la correction d’une surtransposition par rapport aux textes européens.

Certes mais un État membre a toujours la possibilité, dans le droit national, de surtransposer ou sous-transposer une directive européenne. Il est vrai que seul le texte du règlement européen, spécifique pour les entités EIP, contient des situations interdites en matière d’audit légal. Mais les travaux de transposition dans notre droit, de juin 2016, avaient gardé les mêmes règles de situations interdites pour les deux catégories d’entités EIP et non EIP. Et cela, grâce aux actions conjuguées de la CNCC et du CSOEC et à l’appui de la Chancellerie, qui a toujours été sensible à l’indépendance des auditeurs.

Trois ans après, tout cela peut être balayé : les grands réseaux sont à la tête de nos deux institutions professionnelles et Bercy, qui a pris la main sur la profession d’auditeur, est beaucoup moins attachée à l’indépendance des commissaires aux comptes que ne peut l’être la place Vendôme. Les intérêts particuliers des uns et les positions dogmatiques des autres priment malheureusement sur l’intérêt général…

Pensez-vous qu'avec ces mesures de libéralisation du périmètre de leur activité, les auditeurs pourront compenser tout ou partie des 150 000 mandats perdus avec le relèvement des seuils ?

Non car, encore une fois, les seuls gagnants seront les grands réseaux internationaux. Les cabinets libéraux vont tous perdre avec la loi PACTE, les petits comme les moyens. Tout d’abord, ceux qui ont des mandats PME en deçà des seuils et qui risquent de sortir de l’activité d'audit légal. Mais aussi tous les cabinets qui effectuaient, en tant qu’expert-comptable ou commissaire aux comptes, des missions interdites pour les auditeurs : des commissariats aux apports et à la fusion, des missions de conseil et d’assistance à la demande de PME ou ETI. Dorénavant, ce sera le commissaire aux comptes de la structure holding d’un groupe qui pourra tout réaliser, avec comme seule précaution du professionnel de s’assurer qu’il n’est pas en situation d’autocontrôle…

La belle affaire ! Je crains fortement que cet article scélérat puisse, en quelques années, redessiner notre paysage professionnel avec deux strates : une minorité d'acteurs, pour la plupart associés de réseaux internationaux, qui interviendront en tant que commissaire aux comptes sur l’ensemble des PME et ETI de notre pays. Et une très grande majorité de professionnels qui seront cantonnés aux travaux d’expertise comptable dans les petites entités. Franchement, cette orientation ne me fait pas rêver pour la profession de demain et ECF fera tout pour éviter ce scénario.

N’est-ce pas un mouvement de concentration des acteurs qui se développe partout ailleurs ?

La France a un modèle spécifique avec deux métiers dans la profession du chiffre, avec aussi un co-commissariat, et ce n’est pas parce qu’il y a des pays avec de fortes concentrations des acteurs qu’il faut faire la même chose ou plutôt les mêmes erreurs. Il faut aussi savoir analyser les situations, ne serait-ce que chez nos voisins d’outre-Manche. Après les faillites retentissantes de Carillion ou encore de BHS, les députés du Royaume-Uni viennent de publier un rapport dans lequel ils préconisent de scinder les filiales britanniques des quatre grands acteurs entre audit et conseil. Je ne dis pas qu’il faut en arriver à ce stade mais aujourd’hui, les revenus des grandes firmes d’audit se développent, non pas par l’audit, mais par le conseil. Et il ne faudrait pas que l’audit devienne très rapidement un simple produit d’appel pour capter des missions de conseil beaucoup plus rémunératrices.

A quelques semaines d’un scrutin européen, il est intéressant de constater ce qu’est devenu le livre vert depuis 2010… ou plutôt ce qu’il en reste. Aujourd’hui, la réalité de l’audit est aux antipodes des objectifs vertueux de Michel Barnier : la concentration des acteurs s’accentue, les règles d’indépendance des auditeurs se fragilisent et la qualité de l’audit tend à diminuer.

Chez ECF, vous avez souvent défendu l’idée d’une seule institution pour la profession du chiffre. La probable évolution des auditeurs de demain n’aide-t-elle pas à aller dans le sens que votre syndicat souhaite ?

Surtout pas. Il faut bien distinguer la profession du chiffre et ses deux métiers par ailleurs. ECF est toujours favorable à une seule grande institution qui regroupe l'ensemble des professionnels, tout en prônant que nous devons continuer à distinguer les deux métiers. Quand ECF évoquait la fusion des deux institutions, nos compétiteurs opposaient la confusion. Aujourd’hui, l’autre syndicat de la profession va réussir la confusion avec sa duplicité sur l’article 9 bis A ou encore, le projet de déménagement des institutions Porte de Vanves que nous avons dénoncé en ce début d’année.

Avec la loi PACTE et la fin de la séparation de l’audit et du conseil, les experts-comptables et commissaires aux comptes ne vont plus être complémentaires mais concurrents. Cela sera la guerre sur le terrain. De frères jumeaux, nous allons devenir frères ennemis, alors que la grande majorité des professionnels exercent ces deux métiers du chiffre au sein de leurs cabinets. Le grotesque de la situation est à son comble.

Mais peut-on vraiment s’opposer à tout cela quand on voit la volonté du gouvernement ?

Sur ce point, il faut être très clair. Et au risque de déplaire et de choquer certains, ne cherchons pas de boucs émissaires sur ce qui nous arrive. Le gouvernement ne fait que profiter d’une situation et le H3C avec sa Présidente nous ont plutôt défendus dans le combat sur le relèvement des seuils.

La pleine responsabilité du rehaussement des seuils est imputable à la CNCC qui, avec sa politique élitiste « un audit est un audit », nous a amenés dans ce précipice. La coresponsabilité de l’article 9 bis A, anéantissant la séparation entre l’audit et le conseil, est partagée entre les grands réseaux qui ont été à la manœuvre, la gouvernance de la CNCC qui a discrètement proposé l’amendement afin de corriger une surtransposition européenne et la gouvernance du CSOEC qui a laissé faire tout cela, alors qu’il y aura un impact fort sur le périmètre de l’expertise comptable. Cela sera difficile pour le président du Conseil supérieur de continuer à dire que les experts-comptables sont gagnants avec la loi PACTE. 

On nous dit parfois qu’il y a peu de différences entre les deux syndicats ECF et IFEC : je laisse les lecteurs apprécier, je laisse les professionnels juger de la situation sur le terrain dans les prochains mois…

Pensez-vous que vous pouvez encore agir sur le projet d’article 9 bis A puisque la loi PACTE devrait être votée prochainement ?

Cela paraît en effet compliqué. Mais nous pouvons toujours revenir sur un texte voté, quand ses conséquences sont négatives. C’est ce que nos amis anglais sont en train de faire pour rétablir une séparation entre l'audit et le conseil. Mais pour cela, il faut un vrai sursaut de tous les professionnels libéraux contre ce texte inique. En tout cas, je peux vous dire que notre syndicat ECF ne lâchera pas le morceau, ni jusqu’à la promulgation de la loi PACTE, ni après.

Propos recueillis par Arnaud Dumourier (@adumourier)

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