La rentabilité des cabinets franciliens au scanner

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Ludovic MelotExplications de Ludovic Melot, consultant, sur la rentabilité des cabinets franciliens. 

Selon notre étude, sur les trois dernières années, la croissance de la profession comptable dans son ensemble a été (très) faible (1). C’est ainsi que, hors inflation, la croissance cumulée du chiffre d’affaires de la profession ne s’est élevée qu’à 2,2 % sur la période 2009-2012. Cette atonie d’ensemble masque toutefois d’importantes disparités, selon la taille des cabinets, mais également selon leur région d’implantation. 

L’analyse géographique des résultats révèle notamment une fracture entre les cabinets franciliens et leurs homologues de province.

Les cabinets franciliens comparés aux cabinets de province

L’évolution du chiffre d’affaires

En 2008, la croissance du chiffre d’affaires des cabinets implantés en Île-de-France était sensiblement la même que celle des cabinets de province. Depuis, la situation des cabinets franciliens de l’échantillon s’est dégradée :
-hors inflation, le chiffre d’affaires de ces cabinets a en effet baissé au cours des trois dernières années, alors que celui des cabinets de province continuait à progresser;
-in fine, les cabinets franciliens affichent une baisse de leur chiffre d’affaires déflaté de - 2,6 % sur la période 2009-2012 alors que, dans le même temps, l’activité des cabinets des autres régions a progressé de + 3,6 %.

Ces chiffres ne sont pas anodins. Ils traduisent le durcissement du jeu concurrentiel, avec lequel doivent composer les cabinets franciliens. 
Un durcissement du jeu concurrentiel qu’il convient certainement de mettre en relation avec les profondes mutations de ces dernières années :
-contrairement à ce que l’on observe encore souvent en province, la proximité géographique et la « fidélité à l’expert-comptable » ne sont plus vraiment des facteurs discriminants pour les chefs d’entreprise franciliens ;
-ces comportements plus consuméristes de la part des clients, dans un contexte de libéralisation de l’environnement réglementaire de la profession comptable (notamment en matière de communication et de démarchage), renforcent naturellement la concurrence entre les cabinets ;
-le développement des nouvelles technologies a permis aux cabinets de réaliser d’importants gains de productivité, mais il a également eu pour conséquence d’introduire une certaine transparence sur le marché, notamment en ce qui concerne les honoraires des cabinets ;
-alors que l’offre des cabinets d’expertise-comptable reste encore souvent indifférenciée, la concurrence se porte inexorablement sur le terrain des prix (2), avec, à la clef, une baisse régulière des honoraires moyens par dossier… confirmée par les études de l’observatoire de l’Ordre des experts-comptables.

L’évolution des performances

La profession a réalisé de moindres performances au cours de ces dernières années. Sur ce terrain également, les cabinets franciliens rencontrent plus de difficultés que leurs homologues provinciaux.
Entre 2007 et 2012, leur résultat d’exploitation (en euros constants) a ainsi baissé de plus de 11 %.
Cette baisse des performances n’est pas liée à un accident. 2012 était la quatrième année consécutive de baisse du résultat d’exploitation des sociétés d’expertise-comptable en Île-de-France. Leur résultat d’exploitation rapporté au chiffre d’affaires est passé de 10,2 % en 2007 à 9,0 % en 2012.

Si ce phénomène touche également les cabinets de province, leur résultat d’exploitation sur la même période 2007-2012, n’a reculé "que" de 3,6 %. Une baisse certes moins importante que celle de leurs confrères d’Île-de-France, mais qui est également le fruit de plusieurs années difficiles. Le taux de résultat d’exploitation des cabinets de province a lui aussi baissé, même s’il demeure légèrement supérieur à celui des cabinets franciliens : 10,9 % en 2007 contre 9,6 % du chiffre d’affaires en 2012.

La baisse des performances des cabinets apparaît donc plus comme une tendance de fond que comme un ajustement conjoncturel.

Certes, la crise n’arrange rien, mais l’explication de cette baisse tendancielle de la rentabilité est plutôt à chercher dans les profondes mutations que connaît l’environnement de la profession depuis plusieurs années (3) : la réglementation change, les attentes et les comportements des clients changent, les motivations des collaborateurs changent… sans compter les technologies, qui n’en finissent pas de changer ! Autant d’éléments qui conduisent notamment à la baisse de rentabilité de la mission comptable traditionnelle.

Une mission comptable, qui assure encore l’écrasante majorité des revenus des cabinets (70 % du chiffre d’affaires des cabinets de 1 à 49 salariés, selon l’étude de l’Ordre sur la gestion des cabinets d’expertise-comptable).

Illustration des changements à l’œuvre au sein de la profession, l’évolution des principaux postes de charges des cabinets, au cours des dernières années. La très faible croissance du chiffre d’affaires des cabinets d’expertise-comptable est en effet à mettre en relation avec l’évolution des charges. En effet, entre 2007 et 2012, les charges externes des cabinets franciliens ont progressé de 11,6 % en euros constants (hors inflation) alors que leur chiffre d’affaires déflaté ne progressait que de 1,7 %. Autrement dit, le poids des charges externes des cabinets d’Île-de-France s’est sensiblement alourdi au cours des dernières années, passant de 31,9 % du chiffre d’affaires en 2007 à 34,9 % en 2012.

Cette forte progression des charges externes peut traduire deux phénomènes indépendants :
-une évolution subie, liée à l’inflation de certains postes de dépenses contraintes (loyers, énergie, éditeurs de logiciels, assurance…) ;
-une évolution souhaitée, liée au recours accru à des compétences externes (juristes, fiscalistes, consultants, sous-traitants…).

Les performances des cabinets franciliens selon leur taille

L’analyse des performances des cabinets selon leur taille est également riche d’enseignements. Elle confirme notamment que les petites structures (le plus souvent des cabinets très centrés sur la prestation comptable traditionnelle) sont celles qui souffrent le plus.
Cette baisse quasi-généralisée des performances des cabinets franciliens (5) traduit trois réalités contrastées :
-les cabinets de moins de 1 M€ de chiffre d’affaires ont souffert à la fois en termes d’activité (effet volume) et en termes de performance (effet rentabilité). Ce sont souvent des cabinets traditionnels qui n’ont pas (ou peu) évolué au cours des dernières années.
Des cabinets aux prestations standards et peu différenciées qui sont contraints de se battre sur les prix pour faire face à une concurrence de plus en plus âpre ;
-les cabinets de 1 à 2,5 M€ de chiffre d’affaires qui tirent leur épingle du jeu en bénéficiant d’un double effet positif sur leur chiffre d’affaires et leur rentabilité ;
-les cabinets de plus de 2,5 M€ de chiffre d’affaires, la situation est différente.

Certes, leurs performances baissent, mais leur chiffre d’affaires progresse sur la période. In fine, l’impact est donc moins marqué, l’effet positif de l’activité compensant (partiellement seulement) l’effet négatif de la rentabilité. Ce phénomène peut être interprété de deux façons :
-une approche pessimiste : ces cabinets compensent une baisse de leur rentabilité par un effet volume ;
-une approche plus optimiste : ces cabinets sont aujourd’hui dans une phase de transition. Ils opèrent des concentrations, et commencent à développer de nouvelles prestations. Ces prestations, compte tenu de la courbe d’apprentissage inhérente à toute nouvelle activité ne sont pas encore rentables, mais le deviendront. Autrement dit, des cabinets plus proactifs, qui se donnent les moyens de faire évoluer leur organisation et leurs méthodes de travail. Des cabinets investissent pour préparer l’avenir…

Précisions méthodologiques

Cette étude a été réalisée de la façon suivante :
-toutes les données sont issues des informations déposées aux greffes des tribunaux de commerce par les cabinets eux-mêmes.
L’étude ne prend donc pas en compte les AGC qui, du fait de leur statut associatif, ne sont pas soumises à une obligation de dépôt de leurs comptes auprès des greffes des tribunaux de commerce.
-ont ensuite été exclus de l’analyse :
-les cabinets de plus de 10 M€ de chiffre d’affaires,
-les cabinets n’ayant pas déposé de comptes au cours d’au moins une des années de la période de référence. Autrement dit, l’analyse ne concerne que les structures pérennes qui ont systématiquement déposé leurs comptes sur la période 2007-2012,
-les cabinets présentant des taux de croissance "anormalement élevés" (>100 %) ou "anormalement bas" (<-50 %) pour au moins une des années de la période étudiée,
-les cabinets affichant des soldes de gestion fantasques au cours d’une des années observées.
La présente étude concerne donc le coeur de la profession : les cabinets "traditionnels". In fine, l’échantillon comprend 4 009 cabinets de moins de 10 M€ de chiffre d’affaires, soit un chiffre d’affaires cumulé de 3,7 Mds€, en 2012.

Ludovic Melot, Consultant

(1) Éco-Graphie 2014 de la profession comptable publiée par b-ready.
(2) Les experts-comptables doivent faire face ici à une des rares lois économiques qui se vérifie systématiquement : dans le cas de produits ou de services non différenciés, les clients jouent toujours la carte du prix.
(3) Pour plus de détails, "La grenouille, le lapin et la girafe ou les experts-comptables face aux mutations", Le Cercle Les Échos, 10 novembre 2013.
(4) Certes, la faible population de cet échantillon des cabinets de 5 à 10 M€ doit inciter à une certaine prudence, mais une telle baisse ne peut être ignorée.
(5) Seules les structures réalisant entre 1 et 2,5M€ de CA ont vu leur résultat d’exploitation progresser sur la période 2007-2012.

A propos

francilien85Cet article provient du numéro 85 du Francilien, la revue des experts-comptables région Paris Ile-de-France  qui comprend notamment un dossier sur la formation en alternance.

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