Rencontre avec Virginie Roitman, Présidente de la commission de Répression de l’exercice illégal.
Quel est le rôle de la commission de Répression de l’exercice illégal de l’Ordre Paris Ile-de-France ?
Notre commission a une double vocation : la prévention et la répression. C’est une commission ordinale particulièrement dynamique, siégeant cinq fois par an, qui réunit des consœurs, des confrères, le représentant du commissaire du Gouvernement et nos avocats.
Grâce à notre travail, nous sommes passés de deux condamnations annuelles en 2006 à 35 en 2016. Des sanctions de plus en plus sévères sont prononcées avec des peines d’emprisonnement ferme exécutées, des saisies d’avoirs criminels et des dommages et intérêts attribués à notre institution pour plus de 60.000 euros dans une seule année, alors qu’auparavant nous devions nous contenter d’un euro symbolique lors des rares audiences obtenues.
Comment sont instruits les dossiers ?
C’est une cellule soudée, expérimentée et motivée qui gère le quotidien, du signalement par le confrère, l’entrepreneur victime ou la police, jusqu’au procès. Entrent successivement en scène deux permanents, l’un spécialisé dans le back office, l’autre dans la présence sur le terrain, au contact des acteurs directs, et notamment des services de police. Interviennent également un consultant en stratégie pénale, ainsi que deux avocats spécialisés. A titre exceptionnel, peuvent également opérer des agents privés de recherches sur des cibles qualifiées de “sensibles”.
Pour ce qui concerne les voies de recours, les deux cours d’appel de Paris et de Versailles rendent des arrêts déterminants pour l’intérêt de la profession, de même que la chambre criminelle de la Cour de cassation. Nous sommes donc vivement soutenus par les parquets, les juges, sans oublier les services du commissaire du Gouvernement qui répondent avec célérité et efficacité à nos nombreuses demandes d’enquêtes fiscales.
L’exercice illégal a-t-il toujours le même visage ?
Non, pas du tout, en 11 ans, il a nettement évolué. D’une conception à l’ancienne type « tontons flingueurs », il s’est aligné sur l’évolution de la délinquance, aussi bien quantitativement que techniquement, notamment grâce à la dématérialisation (petites annonces, sites illégaux). Pratiquement, ous sommes en présence de “sas” parfaits de destruction d’entreprises, de fraudes massives mais aussi de blanchiment de fonds, voire à titre exceptionnel de financement du terrorisme.
Quelles sont les nouvelles armes dissuasives ?
Tout ne pouvant pas être pénalement sanctionné, il était vital de trouver des parades adaptées. Dans cette optique, le Conseil régional de l’ordre a récemment remporté une victoire importante, en obtenant que l’inscription, sur l’ensemble du territoire national, de toute société dont l’objet social indique "activité comptable/tenue de comptabilité/ saisie de comptabilité", soit désormais soumise à l’obligation de présentation au greffe d’une attestation d’inscription au tableau de l’Ordre. Si cette condition n’est pas réalisée, l’inscription est refusée. Dans le même temps, les accords passés avec les greffes franciliens nous permettront d’identifier la totalité des sociétés entrant dans ce créneau illégal, déjà enregistrées avant la signature de cet accord.
Nous allons rapidement engager des actions massives et ciblées, en direction de ces délinquants, auprès des juges chargés de la surveillance du RCS puis de l’astreinte.
Vous traquez aussi les illégaux sur internet...
Les plateformes illégales constituent un second front ouvert contre les officines pirates qui utilisent efficacement les nouveaux moyens de communication. Dans ce contexte, nous allons prochainement “chasser” les illégaux directement sur le web, où ils sévissent de plus en plus nombreux. La technique dite du “scraping” nous permettra, toujours grâce à l’exploitation des données data, de les identifier, puis de les poursuivre au pénal ou au civil, ainsi que leurs hébergeurs, lorsqu’ils persistent à les abriter malgré nos mises en garde préalables. Il s’agit de dépasser le cadre de la répression classique, pour devenir offensifs, et non plus seulement défensifs. Il faut “porter le fer” sans attendre les signalements habituels, qui nous parviennent maintenant pour la plupart par voie dématérialisée, via notre site rénové, www.compta-illegal.fr, qui connaît un vif succès (17 .00 visiteurs/an).
Sur le plan de la prévention, quelles sont vos actions les plus marquantes ?
Tout d’abord, l’installation très prochaine, dans les zones publiques du tribunal de commerce et du greffe de Bobigny, de messages d’information sur écrans numériques, incitant les chefs d’entreprise à faire appel à un expert-comptable. Cette opération doit ensuite être dupliquée au tribunal de commerce de Paris et dans les autres juridictions consulaires.
Ensuite, la mise en place d’une action de formation en direction des stagiaires 3e année. Il nous paraît essentiel de les mettre en garde contre les risques liés aux cohabitations juridiques hasardeuses avec des associés illégaux, censés leur apporter "un portefeuille clients" sur un plateau. Pratiquement, ceux-ci, parfois déjà condamnés ou connus pour exercice illégal, cherchent uniquement à s’abriter derrière un label qualité reconnu, tout en gardant la direction de fait de la société nouvellement créée. Les risques sont graves pour les jeunes confrères, qui n’auront jamais aucune indépendance et qui peuvent, le cas échéant, mettre en péril leur avenir professionnel ainsi que leur responsabilité pénale.
Quelles sont les autres actions qui méritent d’être soulignées ?
Je peux en citer au moins trois. La première concerne la reconstitution du véritable procès d’une illégale, en novembre dernier, dans la salle d’audience du tribunal de commerce de Paris. Cette manifestation a connu un vif succès et a été reprise par de nombreux médias.
La seconde est la publication très prochaine du premier rapport d’activité de la commission pour l’année 2016. Destiné à être mis à jour chaque année, il vise deux objectifs : informer la profession, les partenaires et les pouvoirs publics et assurer un suivi, en chiffres et par typologie, du phénomène régional de la comptabilité frauduleuse, à travers l’Observatoire régional de la comptabilité illégale (OBRCI).
La troisième est l’amplification de la formation des services de police, en partenariat avec la délégation zonale au recrutement et à la formation de Paris Ile-de-France. Elle concerne de très nombreux fonctionnaires de police affectés dans les commissariats et dans les services de la police aux frontières. La première journée de formation s’est déroulée le 24 avril dernier.