Une tribune de Laurence Tardivel, avocat associé, spécialiste du droit social chez Cornet Vincent Ségurel et Marie Basilien, avocat chez Cornet Vincent Ségurel.
Récemment, et pour la première fois, la Cour de cassation s’est prononcée sur la possibilité, ou non, pour l’employeur d’utiliser à titre de preuve des informations publiées par un salarié sur son compte Facebook.
En effet, à l’ère du « tout connecté » et du droit à la déconnexion, l’utilisation des moyens de communication électronique par les salariés – messages électroniques, SMS, Facebook… – constitue un véritable enjeu pour les employeurs.
La mise à disposition à titre professionnel d’outils électroniques – ordinateur, messagerie électronique, téléphone portable… – ne donne pas à l’employeur toute liberté. De son côté, le salarié a droit au respect de sa vie privée dans le cadre de l’utilisation des outils électroniques mis à disposition à titre professionnel, et ce même au temps et au lieu du travail.
Les règles édictées en droit européen, comme en droit français, ont pour objet de garantir un équilibre entre la nécessité pour l’employeur de pouvoir contrôler les communications électroniques de ses salariés et le droit au respect de la vie privée et au secret des correspondances des salariés.
Facebook : un espace privé ?
Dans un arrêt rendu le 20 décembre 2017 (Cass. Soc., 20 déc. 2017, n° 16-19.609), la Cour de cassation a retenu qu’un employeur ne pouvait valablement recueillir des informations extraites du compte Facebook d’un salarié obtenues à partir du téléphone portable professionnel d’un autre salarié, les informations publiées sur ce compte étant réservées aux personnes autorisées.
En effet, en restreignant l’accès à son compte Facebook, le salarié confère un caractère privé aux informations publiées sur son compte, et ce quelle que soit la nature de ces informations. A défaut d’y être autorisé, l’employeur ne peut accéder à ces informations « sans porter une atteinte de manière disproportionnée et déloyale à la vie privée du salariée ». Peu importe que les informations aient été recueillies au moyen du téléphone portable professionnel d’un autre salarié. On peut d’ailleurs penser que la solution serait identique si l’employeur avait recueilli des informations sur un compte Facebook à accès restreint au moyen de l’ordinateur professionnel ou du téléphone portable professionnel du salarié concerné.
Le caractère privé ou public d’une publication sur Facebook, et donc la licéité de la preuve, dépendent des paramètres de confidentialité mis en place par le salarié. En outre, l’employeur peut être condamné à payer des dommages et intérêts au salarié concerné pour atteinte à la vie privée.
Il est toutefois précisé qu’une atteinte à la vie privée du salarié peut être justifiée si elle est nécessaire et proportionnée au but poursuivi ; ce qui n’était pas le cas dans l’arrêt rendu le 20 décembre 2017.
Les possibilités pour l’employeur de consulter les courriels et SMS du salarié…
Les messages électroniques ou SMS envoyés et reçus par le salarié depuis la messagerie professionnelle ou le téléphone portable professionnel sont présumés avoir un caractère professionnel.
L’employeur peut donc librement les consulter voire les utiliser comme preuve pour sanctionner le salarié.
Une interdiction totale de l’utilisation personnelle de la messagerie professionnelle ou du téléphone portable professionnel étant impossible, l’employeur doit veiller à respecter la vie privée de ses salariés.
… Sauf s’ils sont identifiés comme « personnels »
Un salarié peut conférer un caractère privé à un message électronique ou à un SMS émis et reçu par lui grâce à un outil professionnel, s’il est identifié comme « personnel ». Dans ce cas, l’employeur ne peut pas prendre connaissance du message sans porter atteinte au droit au respect de la vie privée du salarié et au secret des correspondances.
De même, les messages électroniques échangés par le biais de messageries personnelles, depuis un ordinateur professionnel, sont protégés par le secret des correspondances.
L’atteinte au secret des correspondances est un délit puni d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende (C. pénal, art. L. 226-15).
Sur ce fondement, l’employeur ne peut pas simplement consulter les messages du salarié identifiés comme « personnels », en présence de l’intéressé ou en l’ayant fait appeler ; ce qu’il pourrait faire concernant la consultation de documents hébergés dans un fichier estampillé « personnel ».
L’employeur doit obtenir du juge une autorisation d’accéder aux messages personnels. Ainsi, l’employeur peut solliciter auprès du juge l’intervention d’un huissier qui pourra prendre connaissance des messages « personnels », en présence du salarié ou celui-ci dûment appelé. Cette faculté est toutefois subordonnée à l’existence d’un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige.
Un message non identifié comme « personnel » peut relever de la vie privée du salarié
Un message reçu ou émis grâce à un outil professionnel et non identifié comme « personnel » n’est pas automatiquement un message à caractère professionnel. Il s’agit d’une simple présomption et le contenu du message, s’il se rattache à la vie privée du salarié, pourrait en révéler le caractère personnel. S’agissant d’un échange privé, celui-ci serait alors protégé par le secret des correspondances. Il ne pourra donc pas être invoqué à l’appui d’une sanction disciplinaire notamment.
Le salarié doit avoir une utilisation licite des outils de communication électronique
Si chaque salarié a droit à une liberté d’expression – dans et hors de l’entreprise – il appartient à chacun de ne pas abuser de cette liberté. En effet, chaque salarié est également lié à son employeur par une obligation de loyauté.
Afin d’apprécier la gravité des propos tenus par un salarié et de caractériser, ou non, un abus, il convient de tenir compte du contexte dans lequel les propos ont été tenus, de la publicité que leur en a donné le salarié et des destinataires des messages.
En pratique, il paraît indispensable de formaliser les règles d’utilisation des outils de communication professionnels, mais également de contrôle de la bonne application de ces règles, par le biais du règlement intérieur, d’une charte informatique voire d’un accord collectif.
Il conviendra alors de ne pas oublier les éventuelles déclarations préalables auprès de la CNIL ainsi que l’information, toujours préalable, des salariés et représentants du personnel dans ce cadre.
Laurence Tardivel, avocat associé, spécialiste du droit social chez Cornet Vincent Ségurel et Marie Basilien, avocat chez Cornet Vincent Ségurel