La nouvelle a fait grand bruit. Le comité d’entreprise de Mc Donald’s Ouest parisien a porté plainte contre le géant du fast food pour « blanchiment de fraude fiscale en bande organisée ». Cette action est étayée par un rapport qui met en évidence un stratagème d’évitement de l’impôt, permis grâce aux lacunes du droit français.
Pour Alain Leroy, consultant expert indépendant en fiscalité auprès des PME et grandes entreprises, il y a là de quoi relancer le débat entre optimisation et fraude fiscale dont la frontière est, pour certains, difficile à dessiner. Jusqu’à quand ?
Haro sur la triche
Si elle pose des questions d’ordre éthique, l’optimisation fiscale utilise bel et bien des moyens légaux afin de réduire sa facture d’impôts. Un droit pour Monsieur ou Madame Tout Le Monde comme l’explique Pierre-Alain Muet, vice-président de la Commission des finances de l’Assemblée nationale et député PS du Rhône : « Un contribuable faisant un don à une association reconnue d’utilité publique peut le déduire de son impôt. Parce que ça a été voulu par le législateur et que, de cette façon, il ne contourne pas la loi ». C’est ce qui distingue l’optimisation de la fraude, qui quant à elle, enfreint la législation. La frontière est donc bien claire. En théorie, car Pierre-Alain Muet pointe du doigt une question assez complexe, celle de l’optimisation fiscale dite agressive qui consiste à contourner volontairement la loi et d’utiliser de manière abusive les failles législatives françaises mais également européennes.
Quelques (gros) poissons, multinationales américaines en tête, nagent ainsi en eaux troubles afin de payer bien moins d’impôts qu’elles ne le devraient. Dans le sillage de Mac Donald, Amazon, Google, Apple et consorts, sont dans le viseur de l’Etat. Ces entreprises peu scrupuleuses usent de savants montages juridico-financiers, notamment en « délocalisant » leurs impôts. Une fraude fiscale à peine déguisée en optimisation. Ainsi, «la galaxie McDonald’s Europe s’adonnerait à l’évasion fiscale en faisant remonter ses bénéfices au Luxembourg. McDonald’s pratiquerait une surfacturation des redevances au titre de l’utilisation de la marque. Une manière de pomper une grande partie de l’excédent d’exploitation par des redevances qui semblent excessives. C’est une forme de fausses factures qui permet de faire en sorte que le résultat final, en fin d’année, soit négatif ou à peine bénéficiaire», dénonce Eva Joly, avocate du comité d’entreprise de Mac Donald’s Ouest parisien. Un habile mécanisme qui illustre bien l’urgence de resserrer les mailles du filet, notamment au niveau européen.
Bruxelles en ordre de bataille
Il s’agit de ne laisser aucune marge de manœuvre aux entreprises qui seraient tentées de franchir la ligne rouge. Il faut dire que le scandale LuxLeaks a suscité un élan majeur en faveur de la lutte contre l’optimisation fiscale et les Etats se sont bien rendu compte qu’ils ne pouvaient se contenter d’agir seuls. Aussi, les 28 ont adopté en avril 2015 une règle administrative de transparence totale sur les tax-rulings (ou rescrits fiscaux) consentis aux multinationales. Cette initiative permettrait de renforcer l’ensemble des lois européennes afin que les entreprises n’échappent plus à l’impôt en toute impunité. A la clef, une harmonisation européenne comme en appelle Alexandre Bompard, à la tête de la Fnac. « La compétition avec Amazon, qui bénéficie de son implantation dans des paradis fiscaux, n’est pas équitable. Je ne demande pas d’avantages, mais que les règles soient les mêmes pour tous », explique ce dernier.
Ces mesures visent les multinationales mais également les PME qui comptent désormais parmi les resquilleurs, à l’instar de Smartbox, spécialiste français du coffret cadeau et dont la délocalisation en Irlande, connue pour ses largesses fiscales, a défrayé la chronique. C’est à Dublin qu’a donc été créée une filiale de Smartbox, baptisée Smartbox Experience Ltd et qui permettrait à l’entreprise, domiciliée à Courbevoie, de soustraire les impôts dus. Ce jeu de cache-cache a déjà suscité - dans le cadre d’une sombre affaire de fraude à la TVA - la curiosité de la justice italienne, à l’œuvre afin de tirer le dossier Smartbox au clair.
Et si les pays se montrent de plus en plus proactifs, c’est que les sommes en jeu sont considérables. « L'évitement fiscal des entreprises représente des dizaines de milliards de pertes pour les budgets nationaux chaque année, entraîne une concurrence inéquitable entre les sociétés et sape la confiance des citoyens européens dans les États et gouvernements », a ainsi expliqué Luděk Niedermayer, député européen. A l’heure de l’austérité, cette chasse aux fraudeurs est une manne providentielle.
Et la France dans tout cela ?
La France ne cesse de clamer son attachement à la lutte contre l’optimisation et la fraude fiscales. Le gouvernement a engagé en 2012 des réformes, notamment grâce à deux lois de finance rectificatives. En 2013, le projet de loi contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière a été voté, comme le projet de loi organique créant un procureur financier à compétence nationale. Ainsi, en 2014, la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales a permis de recouvrer plus de 10,4 milliards contre 10,1 milliards d'euros en 2013. C’est un bon début mais les efforts doivent se poursuivre.
Or, il est assez inquiétant de constater que certaines mesures phares, telles que le reporting fiscal des entreprises ont été abandonnées. Est-ce à dire que le gouvernement français flanche ? Renforcer le cadre légal de l’optimisation fiscale est avant tout une question de volonté. Et la route est encore longue si on en croit Eva Joly, qui met le doigt sur « le marchandage » qui aurait lieu à Bercy entre « les avocats d’affaires des sociétés accusées de minimiser leurs impôts grâce à de complexes montages juridico-financiers et, de l’autre, une administration fiscale ». Elle propose de « faire sauter le verrou de Bercy » à l’instar d’Éric Alt, magistrat et conseiller référendaire à la Cour de cassation et vice-président d’Anticor, une association de lutte contre la corruption. « Au bout du compte, les deux parties se mettent d’accord sur une somme forfaitaire, mais toujours nettement inférieure à ce que l’entreprise aurait dû normalement payer », ajoute cette dernière. On est bien loin de la démonstration de force promise !