Des propositions pragmatiques pour les entreprises de moins de 10 salariés, par Janin Audas, commissaire aux comptes, conseil en management, expert-comptable honoraire, vice-président du Mouvement ETHIC.
Quels sont, en 2015, les principaux freins à l’embauche des salariés dans les entreprises ?
- Le risque économique : le coût des charges salariales, le manque de flexibilité des effectifs ou des charges de personnel.
- La baisse de compétitivité engendrée par le coût de la protection sociale.
- La complexité du code du travail et la multitude de réglementations conventionnelles.
- Les risques de mise en cause de la responsabilité civile et pénale de l’employeur en cas d’infraction à une réglementation devenue trop complexe.
- Les craintes psychologiques de partage du pouvoir au sein de l’entreprise (surtout pour les petites entreprises).
Depuis plusieurs mois, la question du dialogue social et des seuils d’effectifs sont abordés par de nombreuses instances, le gouvernement, les partis politiques, les organisations patronales, les syndicats de salariés, les médias, mais aussi les chefs d’entreprise qui, eux, se trouvent confrontés de plus en plus aux difficultés que la réglementation du travail engendrent, tant dans leur vie quotidienne que lors de litiges avec des salariés.
Cette question est devenue si prégnante que certains entrepreneurs préfèrent se désengager de leur statut d’employeur pour exploiter une activité « en solo ». D’autres, qui n’ont pas cette opportunité, préfèrent ne plus embaucher afin de réduire au maximum leur risque de mise en cause en matière sociale. Tout litige avec un salarié est un risque pour l’entreprise et l’employeur.
Enfin, nombreux sont ceux qui se refusent à franchir certains seuils d’effectif qu’ils jugent trop lourds à affronter et/ou trop onéreux pour leur entreprise, principalement les seuils de 10 et 50 salariés sans oublier le facteur chronophage pour les chefs d’entreprise.
La lutte contre le chômage, qui devrait être une priorité pour tous les responsables politiques et économiques de notre pays, implique que cette question soit traitée de façon pragmatique. C’est dans le contexte de croissance du chômage due à la crise économique et financière que se sont engagées des négociations entre les organisations patronales et syndicales, mais celles-ci n’ont pu aboutir faute d’avoir priorisé l’objectif de lutte contre le chômage.
Qu’avons-nous observé au cours des dernières négociations ?
- Des syndicats qui refusent toutes mesures de simplification (regroupement du comité d’entreprise et du CHSCT par exemple).
- Les mêmes représentants syndicaux qui poussent pour s’implanter, directement ou indirectement, dans les entreprises de moins de 50 salariés.
- Un patronat divisé sur cette revendication syndicale ; le MEDEF étant prêt à accepter un compromis sur la création « d’une représentation syndicale indirecte » dans les petites entreprises que la CGPME refuse catégoriquement.
L’objectif de la négociation entre les partenaires sociaux n’était pas d’assurer la pérennité des syndicats et d’améliorer la protection des salariés qui ont un emploi, mais de fournir un travail à ceux qui n’en n’ont pas. La question des seuils était donc mal posée. Ce n’est pas aux seuils qu’il convient de s’attaquer, mais aux conséquences de leur franchissement. Il faut reporter, différer ou supprimer ces conséquences.
L’analyse des effectifs des entreprises montrent qu’un blocage se fait principalement à 10 et à 50 salariés. Que faut-il faire pour décider les dirigeants concernés à embaucher ? La réponse est relativement simple à exprimer, mais difficile à décider et on ne peut demander aux syndicats d’accepter une « réduction des droits des salariés ».
C’est au pouvoir politique qu’il appartient de corriger les réglementations qui freinent l’emploi alors que les conditions économiques le permettraient.
Le gouvernement a donc repris le flambeau et il en est sorti la loi Rebsamen, avec un peu de simplification et la création d’une nouvelle représentation des salariés pour les entreprises de moins de 50.
Cette loi ne va malheureusement rien résoudre. Si l’on se donne comme objectif prioritaire de développer l’emploi, il faut y répondre de façon pragmatique. Pour cela, l’approche par une modification généralisée des seuils n’est certainement pas le bon moyen d’aborder la question, car repousser globalement les seuils ne peut que constituer un casus-belli pour les syndicats, mais également pour beaucoup de responsables politiques et pour un grand nombre de français, toutes tendances confondues.
Plutôt que de vouloir modifier ces seuils, il semble plus facile de travailler sur les conséquences de leur franchissement. Conséquences financières et conséquences de management des ressources humaines.
Pour les entreprises de plus de 50 salariés : au-delà du coût global de la protection sociale, la difficulté essentielle réside dans le changement important de l’organisation managériale engendré par la création du comité d’entreprise et du CHSCT. Il faudra chiffrer le coût du 50e salarié.
NOS PROPOSITIONS
Pour les entreprises de plus de 50 salariés
- Recenser les multiples obligations engendrées par le franchissement du seuil de 50 salariés (plus de 30 disent les experts !)puis harmoniser, simplifier voire en supprimer un certain nombre.
- Simplifier les obligations faites en matière de gestion du comité d’entreprise. Celles-ci sont devenues beaucoup trop complexes et onéreuses pour les PME. Ne peut-on alléger ces contraintes et les coûts qu’elles engendrent sans pour autant supprimer les comités d’entreprise ? Pour les PME de moins de 250 salariés, la mise en place de procédures simplifiées pour le fonctionnement du comité d’entreprise et du CHSCT regroupés, devrait pouvoir se mettre en place, sans remettre en cause l’ensemble de notre système de dialogue social.
- La question de la représentation syndicale est également un sujet, sujet tabou mais réel. La difficulté n’est pas la représentation syndicale en soi, mais les comportements et les abus que l’on peut constater de la part de certains salariés protégés qui se considèrent « intouchables ».
- Le coût des charges et taxes sociales pour les employeurs de plus de 50 salariés constitue un argument supplémentaire pour ne pas franchir le cap.
Ne peut-on réfléchir à ces questions sans s’attirer toutes les foudres du ciel ? Je n’en suis pas assuré !
Pour les entreprises de 10 salariés et plus
Les freins au franchissement du seuil de 10 salariés sont pour partie économiques (augmentation des charges et taxes salariales) mais également psychologiques. Que faudrait-il faire pour faire sauter ce verrou ?
- Harmoniser les seuils qui définissent le passage à plus de 10 salariés (rappelons qu’actuellement les seuils sont à 9, 10 ou 11 selon l’obligation) pour n’avoir plus que deux seuils : moins de 11 et plus de 11 par exemple.
- Harmoniser le mode de calcul des effectifs salariés.
- Recenser, harmoniser et simplifier les obligations engendrées par le franchissement du seuil de 10 salariés (certaines ont déjà été repoussées à 20 salariés).
L’analyse des principaux impacts financiers du franchissement du seuil de 10 salariés (voir encadré) montre que, contrairement à ce que pensent encore beaucoup d’employeurs, ce franchissement n’engendre pas un coût supplémentaire important (moins de 1% des salaires) si l’on exclut le coût du financement des transports collectifs. En revanche, le taux de la taxe sur les transports est d’autant plus fort que l’agglomération est importante ; cela est particulièrement le cas en Ile-de-France où les taux ne cessent d’augmenter (2,95% à Paris et dans les Hauts-de-Seine).
- Réformer la réglementation des délégués du personnel
L’élection des délégués du personnel au sein des entreprises de plus de 10 salariés reste un frein certain au dépassement de ce seuil et ce, malgré le fait que la réglementation actuelle soit relativement souple. La mise en place des délégués du personnel devrait pouvoir faire l’objet d’une réforme acceptable permettant de ne pas rester un épouvantail pour le franchissement du seuil de 10. Une relative tolérance jusqu’à 20 salariés devrait pouvoir faire l’objet d’un relatif consensus. La loi Rebsamen va à contre-sens de ce qu’attendent les employeurs.
- Réformer la réglementation de la participation et de l’intéressement des salariés
La loi Macron a proposé une réforme mais il convient d’aller plus loin afin de rendre ces deux instruments plus attractifs pour les salariés.
Une réforme de la participation et de l’intéressement pourrait constituer une réelle contrepartie positive à la suppression de certaines règles susceptibles d’être considérées par les salariés comme des « avantages perdus ».
Les principaux impacts du franchissement du seuil de 10 salariés :
- Formation professionnelle continue : au titre de 2015, la contribution est due avec des taux différents selon l’effectif : 0,55 % des salaires pour les moins de 10 et 1 % au-delà (sauf si la convention collective de l’entreprise prévoit un taux supérieur). Un effet de lissage est prévu au cours des 5 années qui suivent le franchissement du seuil de 10 mais cela ne s’avère pas suffisamment incitatif. Lors de la réforme de 2014, une harmonisation de taux ou un report du seuil à 20 salariés aurait été préférable. L’impact du franchissement est donc de 0,45% maximum.
- Versement de transport : sont assujettis les employeurs de plus de 9 salariés (pourquoi pas 10 ou 11 ?) à des taux variables selon les agglomérations. Les taux les plus importants sont enIle-de-France :ils ont été augmentés en 2015 à 1,5 %, 1,91 % ou 2,95 % selon les zones (ils l’avaient déjà été au 1er juillet 2013 : soit +13,5 % en 18 mois à Paris et dans le 92). En province, le taux est fixé selon les bassins d’emploi et sont le plus souvent compris entre 0,50 % et 1,50 %. Le taux de versement transport a un impact très significatif sur le poids des charges salariales lors du franchissement du seuil de 9 salariés.
- Cotisation forfaitaire des apprentis : les salaires versés aux apprentis sont partiellement ou totalement exonérés de charges sociales, mais l’étendue de ces exonérations diffère selon qu’il s’agit ou non d’artisans et de petites entreprises. Ce régime pourrait utilement être généralisé à l’ensemble des entreprises, ce qui supprimerait un effet de seuil peu utile et favoriserait l’emploi et la formation des jeunes.
- S’ajoutent quelques obligations dont le coût est ponctuel car lié à certains événements exceptionnels. Cela ne constitue pas un réel frein économique au franchissement du seuil de 10 salariés :
- paiement mensuel des cotisations sociales au lieu de trimestriel (coût peu significatif) : ce régime devrait pouvoir être reporté au seuil de 20 salariés sans grande difficulté ;
- sanctions légales du licenciement irrégulier ou abusif ;
- crédit d’heures du conseiller du salarié en cas d’entretien préalable au licenciement.
- L’aide au logement : l’effet de seuil se situe maintenant à 20 salariés ; la contribution est de 0,1 % sur le plafond de sécurité sociale pour « les moins de 20 » alors que « les plus de 20 » contribuent à hauteur de 0,50% des rémunérations totales.