Alors que l’obligation de facturation électronique approche à grands pas, nous avons rencontré Isabelle Guit, expert-comptable associée Baker Tilly France qui accompagne les entreprises dans cette mutation profonde. Entre pédagogie, anticipation et changement de posture, elle décrypte pour nous les enjeux de cette réforme qui s’impose à tous, mais que peu mesurent vraiment.
L’Expert : Pouvez-vous nous exposer le rôle des experts-comptables dans l’accompagnement des entreprises vers la facturation électronique ?
Isabelle Guit. Absolument. Les experts-comptables jouent un rôle crucial dans l’orientation, l’information et la confiance des clients. Nous avons deux approches principales : soit nous adoptons un ton professoral pour expliquer les tenants et les aboutissants, soit nous prenons le contre-pied pour répondre aux objections et aider les entreprises à se projeter dans l’avenir. Notre objectif est de les mettre en mouvement, surtout face à une réforme aussi importante que celle de la facturation électronique.
Comment les entreprises réagissent-elles face à cette transition ? Sont-elles inquiètes ?
I.G : Actuellement, nous devons souvent aller vers les entreprises pour les inciter à agir. Il y a beaucoup d’attentisme, notamment dû aux reports successifs de la réforme. De plus, les entreprises ont d’autres priorités stratégiques et ne consacrent pas assez de temps à ce sujet. Cependant, une fois qu’elles comprennent l’importance et les bénéfices de la facturation électronique, elles commencent à s’y intéresser sérieusement.
Observe-t-on une différence d’attitude selon la taille des entreprises ?
I.G. : Oui, les petites entreprises sont souvent plus détachées de cette transition, car elles ont des préoccupations quotidiennes plus pressantes. Cependant, il y a des exceptions : certaines petites entités sont très avancées et sensibles à ce sujet. Par exemple, j’ai une cliente, cheffe d’une petite entreprise, qui ne dormait plus après avoir suivi notre webinaire et compris l’ampleur des tâches à réaliser pour se conformer à la réforme. En fait, les TPE/PME n’ont pas de directeur financier et comptent uniquement sur leur expert-comptable. C’est donc à nous de les accompagner dans la compréhension des enjeux et dans la mise en œuvre concrète. Quant aux grandes entreprises, elles sont plus habituées aux projets de transformation et restent mieux préparées.
Les entreprises seront-elles réellement prêtes pour la facturation électronique d’ici septembre 2026, particulièrement les TPE, artisans ou indépendants ?
I.G. : Nous sommes dans l’ère du digital, donc les entreprises seront prêtes a minima. Cependant, cela prendra du temps et certaines petites structures continueront peut-être à imprimer les factures et à les traiter manuellement. Les habitudes ont la vie dure, mais le mouvement vers la digitalisation est enclenché et il est irréversible. S’agissant du commerçant du coin ou de l’artisan, ils vont s’y mettre grâce à leur expert-comptable. Notre objectif est d’être des facilitateurs pour que la réforme se déroule de manière fluide pour eux aussi.
De leur côté, les éditeurs de logiciels affirment tous être prêts et proposer des services gratuits. Qu’en est-il vraiment ?
I.G. : Ce n’est pas si simple. Beaucoup d’éditeurs sont encore en phase d’adaptation et certains continuent à venir en formation pour comprendre les bases de la réforme. Les plateformes de dématérialisation partenaires, qui ont en charge la gestion des flux, sont en phase de labellisation. Mais beaucoup d’éditeurs de logiciels d’émission de factures ne sont pas prêts.
Derrière les offres « gratuites », il y a souvent des coûts cachés. En pratique, la PDP représente un service réglementaire où il faut récupérer des factures, les transférer sans les déformer, en toute confidentialité. Ce service a donc une vraie valeur et sera forcément payant, d’une manière ou d’une autre. Il faut rester vigilant face aux promesses de gratuité. C’est notamment pour cela que j’explique aux clients les enjeux du projet dans le temps : 2026, il faut qu’ils reçoivent les factures ; 2027, il faut qu’ils les émettent. Le message que nous devons porter est : il faut y aller maintenant, mais de façon séquencée.
Quels sont alors les coûts associés à cette transition et comment les entreprises peuvent-elles en tirer profit ?
I.G. : Il est vrai que la transition vers la facturation électronique engendre des coûts supplémentaires, notamment informatiques, à court terme : adaptation des outils, formation, nouveaux abonnements. Cependant, les entreprises vont gagner en efficacité et réduire leurs charges opérationnelles. Aujourd’hui, traiter une facture manuellement coûte entre 9 et 15 euros en temps passé. Avec la facturation électronique, ce coût pourrait être divisé par 3, voire davantage, tandis que les coûts informatiques ne représenteront que quelques dizaines de centimes supplémentaires par facture. Globalement, les entreprises vont gagner en temps et en efficacité, ce qui est un avantage considérable [...].
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Propos recueillis par Samorya Wilson