L'European Financial Reporting Advisory Group (EFRAG) a publié, ce mardi 23 décembre, cinq documents complémentaires destinés à faciliter la compréhension de son projet de système de référence environnementale simplifié. Cette publication intervient alors que le Parlement européen vient d'approuver un assouplissement majeur des obligations de durabilité des entreprises.
Suite à la demande de la Commission européenne formulée en 2025, l'EFRAG a finalisé un exercice de simplification des normes européennes de reporting en matière de durabilité (ESRS). Les cinq documents publiés le 23 décembre 2025 fournissent : une base des conclusions, l'analyse coûts-avantages, les journaux des amendements, le tableau comparatif des textes et une note explicative sur l'article 29b. Ils accompagnent le projet de normes ESRS amendées dévoilé début décembre.
L'objectif affiché est de réduire significativement la charge de reporting tout en préservant les ambitions du Pacte vert pour l'Europe. Cela se traduit par une réduction de 61% des points de données obligatoires. Ce qui fait débat au sein même de l'organe de normalisation.
Des réserves internes révélatrices
Dans sa lettre du 2 décembre à la commissaire européenne aux services financiers Maria Luís Albuquerque, l'EFRAG ne cache pas les divisions qui traversent son Sustainability Reporting Board (SRB). Sur les 22 membres ayant participé au vote d'approbation le 28 novembre, plusieurs ont exprimé des réserves substantielles.
Thomas Roulland (EFAMA, l'Association européenne des fonds et de la gestion d'actifs) a pointé « l'absence d'exception permettant d'exclure du champ d'application du reporting les actifs sous gestion gérés pour le compte de clients ». De son côté, Grégoire de Montchalin (Insurance Europe) a émis des réserves sur le concept d'« évaluation éclairée » dans l'ESRS 1, paragraphe 23 (b), qui crée des difficultés d'interprétation et risque de nuire à la définition de la « matérialité de l'information ».
Isabelle Schömann, représentante de la Confédération européenne des syndicats (ETUC), dénonce notamment « la suppression de données essentielles sur la répartition par âge, le sexe, la protection sociale pour la retraite, et d'autres indicateurs liés à la main-d'œuvre précaire ». Une position partagée par Filip Gregor (ONG Frank Bold) et Ruben Zandvliet (Shift Project) qui s'inquiètent d'une « réduction excessive des points de données obligatoires susceptible de nuire à la comparabilité et à la qualité des rapports ».
Au total, 9 membres ont approuvé la norme ESRS 1 avec des réserves sur la définition des utilisateurs et l'évaluation de la matérialité, 5 ont émis des réserves sur ESRS 2, et 10 sur ESRS E1 concernant le changement climatique. Les critiques portent également sur l'absence d'exemples illustratifs pour guider les entreprises, l'accumulation de mesures d'allègement sans limite dans le temps, ou encore l'élargissement du champ d'application de l'exemption pour « coûts ou efforts excessifs » par rapport aux normes IFRS, ce qui pourrait nuire à l'interopérabilité.
Un équilibre introuvable
La lettre de l'EFRAG révèle un paradoxe : « certains membres du SRB ont estimé que cette réduction était insuffisante lorsqu'elle était associée à une présentation fidèle, tandis que d'autres ont souligné que des réductions supplémentaires nuiraient à la pertinence des déclarations de durabilité et, en fin de compte, à la présentation fidèle ».
Un clivage qui reflète les tensions politiques actuelles au sein des institutions européennes, où la majorité PPE et certains députés poussent pour un allègement massif des obligations, au nom de la compétitivité, tandis que d'autres craignent un démantèlement des ambitions climatiques européennes.
L'EFRAG attire également l'attention sur l'abandon d'un indicateur standardisé sur les retards de paiement pour les PME, pourtant identifié par la directive CSRD comme « un facteur de gouvernance spécifique ». Un compromis qui illustre la priorité donnée à la simplification sur la transparence.
Le Parlement européen entérine le recul
Cette publication intervient une semaine après l'adoption par le Parlement européen, le 16 décembre, d'un accord provisoire avec le Conseil qui élève considérablement les seuils d'application des obligations de durabilité (voir encadré). Un vote qui marque un tournant dans l'approche européenne de la responsabilité des entreprises.
Les observateurs, bien que soutenant globalement les efforts de simplification, ont émis des remarques critiques soulignant que « les allègements devraient constituer l'exception et non la norme » afin « d'éviter de créer des angles morts dans les rapports et d'entraver ainsi une gestion appropriée des risques ».
Une mise en œuvre différée
L'ensemble de ces nouvelles règles ne s'appliquera qu'à partir de juillet 2029, offrant un délai supplémentaire aux entreprises.
Pour le rapporteur de la commission des affaires juridiques du Parlement européen, Jörgen Warborn (PPE, Suède), il s'agit de « réductions de coûts historiques » tout en maintenant « les objectifs de durabilité de l'Europe sur la bonne voie ».
Une affirmation que les membres critiques de l'EFRAG SRB, comme les ONG observatrices, contestent vigoureusement. Ils craignent que cette simplification ne se traduise par une perte d'information cruciale pour les investisseurs et la société civile sur les impacts environnementaux et sociaux réels des entreprises européennes.
Samorya Wilson