Une étude publiée le 2 décembre dernier par Dougs, un cabinet d'expertise-comptable, révèle les revenus réels des entrepreneurs français. Loin des clichés, la majorité d'entre eux peinent à se verser un salaire décent les premières années.
Le dernier baromètre de Dougs, établi à partir des données de 20 427 entreprises et issues de bilans comptables réalisés en 2024, lève le voile sur une réalité souvent méconnue : entre sacrifices initiaux, stratégies fiscales et rémunérations différées, le portrait économique des dirigeants de TPE/PME est bien loin des clichés. Une plongée dans les chiffres et les enjeux d’un écosystème qui fait vivre le tissu économique local.
« Vous vous êtes déjà demandé combien gagne vraiment un entrepreneur ? Pas si simple d'avoir une réponse claire », interpelle Patrick Maurice, co-fondateur et CEO de Dougs qui accompagne plus de 49 000 clients.
53% des entrepreneurs ne se rémunèrent pas
Premier constat : 53% des entrepreneurs ne se versent aucune rémunération en 2024. Parmi eux, 62% bénéficient de l'ARE (Aide au Retour à l'Emploi), ce dispositif qui permet de toucher son allocation chômage pendant 548 jours tout en créant son entreprise. « 32% de nos clients bénéficient de l'ARE. C'est finalement le meilleur tremplin à l'entrepreneuriat en France », souligne Patrick Maurice.
Les 48% restants ne perçoivent aucun revenu de leur activité, compensant souvent par l'épargne personnelle, le revenu du conjoint ou d'autres sources annexes. Une réalité qui illustre le sacrifice financier consenti lors des premières années d'activité.
Une rémunération médiane de 21 631 euros par an
Pour les 47% d'entrepreneurs qui se rémunèrent, l'étude se concentre sur les sociétés unipersonnelles (SASU et EURL), forme juridique privilégiée par les créateurs d'entreprise. La rémunération totale médiane s'établit à 21 631 euros par an, soit 1 803 euros par mois. Un chiffre bien inférieur au salaire médian français de 26 400 euros en 2024. Les entrepreneurs gagnent donc 21% de moins que le salaire médian national.
La rémunération moyenne, elle, atteint 40 548 euros, révélant une forte disparité entre les entrepreneurs. « Gardons à l'esprit qu'il y a une grande disparité entre nos clients et que nous accompagnons beaucoup de jeunes entreprises, ce qui peut expliquer une rémunération faible dans les premières années », tempère Patrick Maurice.
Trois stratégies de rémunération distinctes
L'analyse dévoile trois profils types parmi les dirigeants rémunérés :
- Le profil « 100% salaire » (60,6% des cas) affiche une rémunération médiane de 15 017 euros par an, soit 1 251 euros mensuels. C'est le choix de la sécurité et de la visibilité, privilégié par la majorité.
- Le profil « mixte » salaire et dividendes (19,6% des cas) atteint 29 000 euros de rémunération médiane annuelle, soit 2 417 euros par mois. Ces entrepreneurs optimisent leur fiscalité en combinant un salaire minimum pour cotiser à la retraite et des dividendes pour le reste.
- Le profil « 100% dividendes » (19,6% des cas) culmine à 51 998 euros de rémunération médiane. « C'est la stratégie de celles et ceux qui souhaitent maximiser leur rémunération et peuvent se passer d'un salaire », explique l'étude. Un choix qui nécessite anticipation et solidité financière, les dividendes n'ouvrant aucun droit à la retraite.
Des disparités selon les secteurs et les statuts
Côté statut juridique, les EURL affichent une rémunération totale médiane de 22 791 euros, contre 20 164 euros pour les SASU. Une différence de 13%, alors que les SASU représentent 50% des clients Dougs contre seulement 15% pour les EURL.
De la même façon, l'analyse sectorielle révèle des écarts considérables. Le secteur informatique domine largement avec une rémunération médiane de 40 132 euros, soit 86% de plus que la médiane globale. Selon les auteurs, « ce secteur cumule les avantages : forte valeur ajoutée, marges élevées, peu d'investissements matériels, clients BtoB qui paient bien, et maîtrise de l'optimisation fiscale ».
Le conseil en gestion (25 510 euros) et l'architecture-ingénierie (24 069 euros) complètent le podium.
À l'inverse, le commerce de détail, l'artisanat traditionnel et le BTP affichent des médianes inférieures à 15 000 euros, pénalisés par des investissements lourds et des marges faibles.
La rémunération double en cinq ans
L'évolution temporelle apporte une note d'espoir. De 0 à 2 ans d'existence, le salaire médian plafonne à 11 754 euros (980 euros mensuels), soit 55% de moins que le salaire médian français. Entre 2 et 5 ans, il bondit à 24 690 euros (2 058 euros par mois), ne restant que 6,5% sous la médiane nationale. Au-delà de 5 ans, il se stabilise à 23 991 euros.
« Créer son entreprise, c'est accepter un sacrifice financier les premières années pour construire quelque chose de solide sur le long terme », commente Patrick Maurice. Ainsi, le baromètre indique que la progression globale atteint +104% entre le lancement et la cinquième année.
La rémunération différée, clé de la stratégie patrimoniale
Au-delà de la rémunération immédiate, l'étude explore la rémunération différée : retraite, plus-values, revenus via holdings et SCI. « Il existe un deuxième niveau de rémunération, moins visible mais tout aussi crucial : c'est ce qui se construit sur 10, 20 ou 30 ans », souligne Patrick Maurice.
Les holdings actives affichent une rémunération moyenne de 23 731 euros par an, loin du cliché de l'optimisation agressive. 25% des holdings possèdent une filiale SCI, avec une rémunération moyenne de 29 737 euros, soit 13% de plus que le salaire médian français. Ces structures permettent de lisser les revenus, protéger le patrimoine et préparer la transmission.
Des mesures fiscales qui inquiètent
Le baromètre évalue également l'impact potentiel des réformes fiscales en discussion. Une hausse de la flat tax de 30% à 33% coûterait 870 euros par an à un entrepreneur se versant 29 000 euros de dividendes. À 36%, la perte atteindrait 1 740 euros annuels.
Plus grave encore, selon l'étude, la suppression de l'exonération mère-fille entre sociétés pourrait amputer de 30% le pouvoir d'achat des dirigeants de holdings, avec une perte de 10 500 euros par an sur un schéma type. Des mesures présentées comme visant les « grandes fortunes » mais qui toucheraient de plein fouet les petites structures.
Un outil au service des entrepreneurs
Le baromètre Dougs 2025 dessine le portrait d’un entrepreneuriat résilient, mais fragile, où la réussite dépend autant de la ténacité que de l’accompagnement. « Avec cette première étude, nous voulons mettre à disposition du grand public un outil qui permet d'avoir une vue réaliste de ce que sont les petites entreprises en France », conclut Patrick Maurice, « on ne fait pas un business plan sur des projections fantasmées. Cet outil leur permettra de prendre les bonnes décisions dès le départ ».
Pour les aspirants entrepreneurs, le message est clair : se lancer, c’est accepter de gagner moins au début, mais avec une stratégie adaptée, les efforts finissent par payer. Et pour les pouvoirs publics, un rappel : les TPE/PME sont le cœur battant de l’économie réelle.