À l'issue des Assises de la confiance cumérique organisées le 26 novembre 2025, la Fédération des Tiers de Confiance du Numérique (FnTC) tire la sonnette d'alarme. Elle exhorte les entreprises à migrer leur patrimoine informationnel critique vers des prestataires souverains certifiés, face aux géants du cloud américains.
Face à une dépendance critique envers les géants américains du cloud et à l'approche d'échéances réglementaires majeures, la Fédération des Tiers de Confiance du Numérique formule quatre propositions concrètes pour transformer l'ambition de souveraineté numérique européenne en réalité opérationnelle. En effet, elle constate que les entreprises françaises ont progressivement externalisé leurs données vers des infrastructures échappant à leur contrôle effectif, créant une vulnérabilité stratégique majeure.
Une dépendance alarmante envers les hyperscalers américains
Les chiffres parlent d'eux-mêmes : trois acteurs américains contrôlent 80 % du marché cloud européen, selon une étude récente du Cigref et d'Asterès. Cette concentration expose le patrimoine informationnel critique des entreprises françaises – archives légales, plans de recherche et développement, données RH, stratégies industrielles ou brevets – à des risques juridiques et opérationnels considérables.
Le Cloud Act américain autorise ainsi l'accès aux données par les autorités américaines sans notification des entreprises européennes concernées. La panne massive d'AWS survenue en octobre 2025 a par ailleurs révélé la fragilité de cette dépendance opérationnelle. L'enquête ouverte le 18 novembre 2025 par la Commission européenne à l'encontre de deux de ces géants illustre l'ampleur de la problématique.
Cependant, la FnTC estime que l'écosystème français dispose des capacités techniques nécessaires via des solutions d'archivage souverain certifiées, garantissant la localisation exclusive des données en France ou dans l'Union européenne, tout en appliquant uniquement le droit européen.
Un calendrier réglementaire sous pression
Pour la FnTC, la transformation numérique s'accompagne d'une évolution réglementaire rapide qui complexifie la situation des entreprises. L'IA Act, entré en application progressive depuis février 2025, impose des obligations strictes aux déployeurs de systèmes d'intelligence artificielle. Toutefois, le projet Digital Omnibus présenté en novembre 2025 pourrait reporter les échéances pour les systèmes à haut risque, initialement prévues pour août 2026, jusqu'en décembre 2027, voire août 2028.
Cette incertitude intervient alors qu'une étude KPMG révèle que 83 % des entreprises françaises citent le manque d'expertise comme frein principal à la mise en conformité. Les sanctions prévues sont pourtant dissuasives : jusqu'à 35 millions d'euros ou 7 % du chiffre d'affaires mondial pour les pratiques interdites.
La Fédération rappelle que le déploiement du portefeuille européen d'identité numérique, prévu fin 2026, accuse également un retard préoccupant avec seulement 350 organisations participantes aux pilotes sur 32 millions potentielles. Quant à la facturation électronique obligatoire prévue pour septembre 2026, elle nécessite des infrastructures certifiées et une coordination renforcée.
Le scepticisme domine : seuls 16 % des Européens se déclarent optimistes quant à la capacité de l'Europe à atteindre une pleine souveraineté numérique dans les cinq ans.
Quatre propositions pour une souveraineté numérique effective
Face à ces enjeux, la FnTC formule quatre recommandations concrètes pour passer de l'ambition politique à la réalité opérationnelle.
1- Un appel national à la migration du patrimoine informationnel critique
La première proposition consiste en une cartographie obligatoire du patrimoine sensible avec classification selon les niveaux de criticité définis par l'ANSSI. Cette cartographie serait assortie d'un plan de migration échelonné sur 2026-2028 vers des prestataires garantissant un archivage souverain certifié et à valeur probatoire. L'objectif fixé : 60 % des données critiques hébergées sur des infrastructures souveraines d'ici fin 2030.
2- La création d'un label IA de Confiance
Ce label certifierait la conformité à l'IA Act en couvrant l'ensemble de la chaîne de valeur : origine des données d'entraînement, transparence des modèles et traçabilité des décisions automatisées. Des audits rigoureux établiraient un cadre de confiance et valoriseraient les acteurs engagés dans une démarche responsable.
3-Promouvoir l'archivage électronique certifié NF auprès des plateformes agréées (PA), pour la facturation électronique
Dans le cadre de la réforme de la facture électronique, la FnTC appelle à promouvoir auprès des plateformes agréées un archivage électronique répondant aux exigences de la norme NF Z42-013. Ce dispositif garantirait l'intégrité, l'authenticité et la pérennité des factures sur toute leur durée de conservation légale, renforçant la sécurité juridique des transactions.
4- Un programme national de sensibilisation au wallet européen
Enfin, la FnTC propose le lancement d'un dispositif associant l'État, les fédérations professionnelles et les associations citoyennes dès début 2026 pour déployer une campagne de communication massive à destination des citoyens et des entreprises.
L'heure de l'action
Selon Bernard Bailet, président de la FnTC : « alors que le Digital Omnibus redéfinit le cadre numérique européen et dans un contexte géopolitique marqué par des politiques extraterritoriales renforcées, les entreprises françaises qui externalisent leurs données stratégiques s'exposent à des risques industriels majeurs ». Il conclut « notre écosystème souverain dispose des compétences et des certifications nécessaires. Ces quatre propositions offrent une feuille de route pragmatique. Le moment d'agir, c'est maintenant ».
Ces recommandations interviennent à un moment charnière où la souveraineté numérique européenne ne peut plus se contenter d'être une ambition politique mais doit devenir une réalité opérationnelle pour les entreprises françaises.
Samorya Wilson