En pleine COP30, l’Europe vide les règles de durabilité de leur substance

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Alors que la conférence mondiale sur le climat bat son plein à Belém, le Parlement européen a adopté jeudi 13 novembre, un texte qui vide de leur substance les directives sur le devoir de vigilance et sur le reporting durable. Sous prétexte de simplification, les eurodéputés majoritaires ont choisi de bousculer la stratégie ESG des entreprises

C’est un vote au timing difficilement compréhensible pour les investisseurs et les acteurs de la gouvernance durable. Le 13 novembre, alors que la COP30 s’ouvre à Belem, au Brésil,  sur un appel à intensifier l’action climatique, le Parlement européen, par 382 voix pour, 249 voix contre et 13 abstentions, a adopté une réforme qui détricote les deux piliers du cadre ESG européen : la CSRD, qui impose aux entreprises un reporting extra-financier standardisé  et la CS3D, qui établit un devoir de vigilance dans les chaînes de valeur.

À noter que contrairement  à la traditionnelle majorité « proeuropéenne », le texte a été adopté grâce aux voix de la droite (PPE), d'une partie du groupe Renew (dont fait partie Renaissance) et surtout de l'extrême droite. Une alliance qui a provoqué un tollé au sein des autres groupes parlementaires.

Le mot d’ordre affiché par le rapporteur suédois Jörgen Warborn appartenant au groupe PPE qui compte également Ursula von der Leyen, la Présidente de la Commission européenne, est de réduire les coûts. « Je pense que c’est la proposition législative qui réduit le plus les coûts dans l’histoire de l’Union européenne », a-t-il déclaré, lors de la conférence de presse qui a suivi le vote.

Si le message peut sembler clair à l’égard des entreprises,  pour les marchés, les régulateurs et les analystes ESG, c’est un signal de confusion stratégique  car au lieu d’harmoniser et de renforcer son cadre de durabilité, l’Europe choisit de… le délester. 

L’eurodéputé suédois a assumé cette nouvelle simplification des règles de durabilité en affirmant que la réduction des coûts pour les entreprises serait : « d'après le document de travail de la Commission, de 4,7 milliards d'euros par an », et même jusqu’à « plus de  5 milliards d'euros par an,  avec les modifications décidées par le Parlement ».

Un reporting durable (CSRD) devenu quasi optionnel pour une grande partie du tissu économique

L’élément qui risque d’inquiéter le plus les investisseurs analysant les politiques ESG des entreprises est l’ampleur de la modification du périmètre de la CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive). Ainsi, les obligations de reporting ne s’appliqueraient plus qu’aux entreprises dépassant 1 750 salariés, et affichant, 450 millions d’euros de chiffre d’affaires, alors que le projet de loi Omnibus prévoyait de relever le seuil d’effectif  à 1000 (contre 250 dans le texte initial).

Au final, cela se traduirait par l’exclusion de 80 % des entreprises initialement concernées, tout en allégeant lourdement les données exigées.

De plus, les eurodéputés ont réduit les informations qualitatives et supprimé le caractère obligatoire des normes sectorielles. Ce qui affaiblit la comparabilité, soit l’un des fondements recherchés par les investisseurs institutionnels.

Un devoir de vigilance (CS3D)  réduit à quelques géants

Avec le texte voté par le Parlement européen, la directive sur le devoir de vigilance (Corporate Sustainability Due Diligence Directive (CSDDD ou CS3D)  ne concernerait plus que les entreprises de plus de 5 000 salariés et 1,5 milliard d’euros de chiffre d’affaires, excluant du dispositif la majorité des multinationales européennes de taille intermédiaire.

Les eurodéputés ont aussi décidé de supprimer le régime harmonisé de responsabilité civile à l'échelle européenne. Les entreprises en infraction seront désormais tenues pour responsables seulement au niveau national, et non plus européen. Le Parlement a également désactivé les sanctions qui étaient fixées à 5% du chiffre d'affaires. « À présent, on parle d'un montant approprié à discrétion des États membres », s’est targué Jörgen Warborn, tout en assurant qu'il y aurait  « toujours, bien sûr, une pression pour que les entreprises respectent cette législation »…

En pratique, la mise à l’écart du régime de responsabilité civile européenne  ouvre la porte à un dumping réglementaire intra-européen. Pour les entreprises, cela pourrait se traduire par un manque de prévisibilité et pour les investisseurs, par un brouillard normatif.

D’après le communiqué du Parlement, « les députés souhaitent que ces entreprises adoptent une approche fondée sur le risque pour surveiller et identifier leurs incidences négatives sur les personnes et la planète ».

Une Europe moins lisible… au moment où la finance exige plus de transparence

Alors que la COP30 rappelle que les entreprises doivent intensifier leurs engagements et leurs investissements pour respecter 1,5°C, le texte adopté par le Parlement européen réduit leur obligation de le démontrer. Ce qui signifie pour les investisseurs et gérants de fonds basés sur le long terme, un message dissonant car l’Union, longtemps leader du cadre ESG global, rétrograde au moment où la demande mondiale de transparence n’a jamais été aussi forte.

En effet, les eurodéputés ont décidé qu’au lieu de « demander systématiquement des informations à leurs petits partenaires commerciaux », les entreprises  devront s'appuyer sur les informations « déjà disponibles et ne demander les informations supplémentaires à leurs petits partenaires commerciaux qu'en dernier recours ».

Avec ce vote, les entreprises se retrouvent face à un paradoxe : moins d’obligations légales, mais davantage d'attentes des investisseurs internationaux, particulièrement américains, désormais habitués aux cadres normatifs robustes (ISSB, TCFD).

Les analystes ESG vont donc se retrouver à demander plus d’informations que la loi européenne. En fait, ce qui aurait dû simplifier l’environnement réglementaire pourrait au contraire le complexifier, chacun reconstruisant son propre référentiel, comme avant la CSRD.

Un contresens économique, selon les défenseurs de l'environnement

La réaction des ONG et organisations environnementales a été immédiate et virulente. Dix ONG, dont Les Amis de la Terre, le Collectif Éthique sur l'étiquette, Oxfam et Reclaim Finance, ont dénoncé dans un communiqué : « Les parlementaires européens trahissent les valeurs de l'Union européenne. » Elles qualifient la réforme du Parlement de « texte de dérégulation revenant de manière brutale sur des avancées pourtant cruciales pour la protection des droits humains, de l'environnement et du climat ».

Swann Bommier, de l'ONG Bloom, a mis en garde contre les conséquences de la suppression de la responsabilité civile européenne : « Ça pourrait introduire une concurrence entre les 27 États membres pour savoir qui a le régime le plus laxiste pour essayer d'attirer des entreprises. »

Le député macroniste Pascal Canfin a déploré que la loi relative à la durabilité soit désormais « complètement vide », soulignant que ce vote se produisait « pendant la COP30 » au Brésil et « représente un recul considérable pour l'action climatique du secteur privé ».

Caroline Neyron, directrice d'Impact France, mouvement d'entreprises « à impact », a également réagi : « C'est un contresens économique et stratégique, qui porte un coup à la fois à la compétitivité de nos entreprises et à notre souveraineté européenne. Ces textes devaient établir des règles du jeu claires et équitables pour toutes les entreprises européennes mais aussi pour toutes celles agissant dans l'Union. »

Les commissaires aux comptes, grands perdants de la réforme

Au-delà du recul environnemental, cette réforme fragilise considérablement le rôle des commissaires aux comptes et des cabinets d'audit. La directive CSRD leur confiait une mission stratégique : certifier la fiabilité des informations extra-financières publiées par les entreprises sur leurs impacts sociaux et environnementaux.

Ces professionnels s'étaient massivement formés aux enjeux de durabilité, avaient investi dans de nouvelles compétences et développé des méthodologies d'audit spécifiques, notamment en obtenant un « visa de durabilité ». Avec la réduction drastique du nombre d'entreprises concernées - passant de plusieurs dizaines de milliers à seulement quelques centaines - et l'allègement des informations à reporter, cette mission perd une grande partie de son ampleur et de sa portée.

La simplification drastique des normes de reporting et la suppression des exigences qualitatives détaillées transforment ce qui devait être un exercice d'évaluation approfondi en une formalité administrative allégée. « Moins de détails qualitatifs » seront désormais exigés, selon les termes du Parlement, privilégiant les données quantitatives plus faciles à comparer mais potentiellement moins révélatrices des pratiques réelles des entreprises.

Une bataille encore ouverte

La version finale dépendra désormais des trilogues entre Parlement, Commission et Conseil qui démarrent le 18 novembre. Les ONG, les entreprises engagées et certains États membres tenteront de sauver les ambitions initiales. Mais pour l’instant, le signal envoyé aux marchés questionne car l’Europe prend le risque de devenir moins prévisible et moins compétitive sur le terrain des standards internationaux.

Alors que la COP30 appelle à la responsabilité collective, l’Union européenne peut faire figure d’absente au moment de définir des normes robustes pour les entreprises. 

Samorya Wilson