TRIBUNE - Par Bruno Richard et Frédéric Scanvic associés au sein du cabinet DWF et Tristan Annoot, avocat au sein du cabinet DWF
La réforme « Omnibus », présentée par la Commission européenne en février 2025, marque une inflexion significative dans le cadre normatif de la RSE européenne. À travers des mesures de simplification et de report, l’Union entend renforcer sa compétitivité. Mais ces évolutions, encore en cours de négociation, suscitent de vives interrogations sur la continuité et la crédibilité de l’engagement européen en matière de durabilité.
Le paquet législatif « Omnibus », issu des propositions de la Commission européenne adoptées le 26 février 2025, a ouvert une nouvelle phase dans la construction du corpus normatif européen en matière de RSE, en amorçant une simplification des règles de durabilité et d'investissements, souvent perçue comme un recul par rapport aux ambitions portées par les textes précédents : Taxonomie en 2020, CSRD en 2022 et CS3D en 2024.
Depuis le début de l'année 2025, l'initiative lancée par la Commission a progressé, avec l'adoption, le 3 avril 2024, de la directive « Stop the clock », qui reporte certains délais d'application des directives CSRD et CS3D.
Désormais, le Parlement européen et le Conseil doivent se prononcer sur les modifications de fond incluses dans la seconde proposition de directive, dite « Contenu », à l'issue de négociations interinstitutionnelles.
Vers une RSE allégée : réduction des obligations et recentrage sur les grands groupes
Si ces ajustements affichent l'objectif d'améliorer la compétitivité de l'Union, ils interrogent toutefois sur l'avenir de la RSE européenne, en ce qu'ils semblent vider de leur substance les mesures adoptées au cours des cinq dernières années, la réforme consistant à simplifier, réduire et parfois supprimer certains dispositifs.
L'allégement des obligations pesant sur les entreprises au titre de la CSRD et CS3D passe notamment par la réduction de leur champ d'application, en concentrant l'effort de conformité sur les grands groupes.
La Commission propose entre autres, pour la CSRD, que les obligations de publication d’informations ne s’appliquent qu’aux grandes entreprises européennes comptant plus de 1 000 salariés, et dont le chiffre d’affaires dépasse 50 millions d’euros ou dont le total du bilan excède 25 millions d’euros.
S'agissant de la directive CS3D, à titre d'exemple, les entreprises ne se verraient imposer un devoir de vigilance complet au-delà de leurs partenaires commerciaux directs que dans le cas où des informations plausibles suggèrent l'existence ou la possibilité d'un impact négatif.
Le Conseil, à travers son mandat de négociation adopté le 23 juin dernier, montre une volonté de simplification encore plus assumée. Par exemple, il envisage que le devoir de vigilance européen (CS3D) ne s’applique qu’aux sociétés de plus de 5 000 salariés et réalisant plus d’1,5 milliard d’euros de chiffre d’affaires. S'agissant de la CSRD, le Conseil entend faire sortir 85 % des entreprises initialement concernées de son champ d'application (5% de plus que la Commission). Pour cela, un nouveau seuil de 1 000 salariés et 450 M€ de chiffre d’affaires remplacerait celui de 250 salariés ou 40 M€ de chiffre d’affaires.
Le résultat des négociations en cours entre le Parlement et le Conseil est donc très attendu, bien que le sens général de la réforme, orienté vers une plus grande simplification, soit connu. L'accord provisoire conclu le 8 juin 2025 qui modifie le règlement sur le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (CBAM) de l'Union, manifeste une convergence de vues.
Des acteurs économiques partagés entre soulagement opérationnel et frustration stratégique
Face à ce train de réformes, la réaction des entreprises, premières concernées par ces mesures, est ambivalente.
Certes, ces mesures viennent simplifier un ensemble de normes lourdes, nécessitant un effort d'adaptation et, donc, des coûts supplémentaires et une mobilisation constante, qui ne sont pas sans conséquence sur la compétitivité. Cette simplification est par ailleurs synonyme de réduction du risque de sanctions, lesquelles impactent aussi les finances des entreprises.
Pour autant, depuis cinq ans, une dynamique s'est créée chez les acteurs économiques, qui ont souvent intensifié leurs engagements RSE, perçue non pas seulement comme une norme imposée de l'extérieur, mais aussi comme un vecteur d'amélioration de la gouvernance, d'inclusion, et de performance environnementale et énergétique. Pour beaucoup, l'effort de conformité a été réalisé, et la réforme annoncée pourrait à cet égard susciter quelque frustration. Le coup d'arrêt soudain porté à cette construction juridique inédite, après cinq années de préparation, peut surprendre et, de ce fait, remettre en question la crédibilité des orientations de l'UE, alors que la cohérence des politiques menées favorise le climat des affaires et l'investissement.
Une recomposition politique sous tension pour dessiner les contours de la RSE européenne de demain
Le paquet « Omnibus » a ainsi ouvert un chantier de grande ampleur, en vue de restaurer la compétitivité de l'UE tout en maintenant l'objectif du Pacte vert de rendre l'Europe neutre sur le plan climatique en 2050.
Au fil des débats parlementaires se dessinera donc la RSE européenne de demain, reflet des convergences et désaccords entre États membres, et des enjeux économiques et politiques auxquels l'Europe est confrontée.nOn peut regretter que le calendrier comme le fond manquent de lisibilité.