La durabilité en question : garder le cap malgré les doutes !

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À l’occasion du Palmarès de la durabilité organisé le 8 juillet 2025 par la CNCC et le CNOEC, une table ronde d’exception a réuni Hélène Valade (ORSE), Sarah Bagnon (CNCC) et Yannick Ollivier (CNOEC). Ensemble, ils ont partagé leurs constats et perspectives autour du thème « Confiance et durabilité : retour d'expérience, regards croisés et perspectives », mettant en lumière les défis concrets et les leviers d’action pour transformer en profondeur les modèles économiques des entreprises.

Bien que nombre d’études sur l’application de la CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive)  révèlent que la majorité des entreprises qui y sont soumises déclarent vouloir poursuivre volontairement leur reporting de durabilité, la réalité du terrain semble plus contrastée. C'est ce qu'ont révélé les intervenants de la table ronde « Confiance et durabilité : retour d'expérience, regards croisés et perspectives » organisée le 8 juillet 2025 lors du palmarès de la durabilité CNCC-CNOEC. Ces derniers ont tous souligné l'importance de la formation, de la collaboration et de la communication pour surmonter les défis actuels et futurs.

Les professionnels du chiffre, moteurs de transformation

Pour Yannick Ollivier, président de la commission Durabilité du CNOEC, les experts-comptables ont un rôle central dans l’accompagnement des entreprises. Il s’est réjoui de leur mobilisation croissante à travers des formations dédiées. « Les experts comptables ont un rôle majeur à jouer dans cette chaîne de valeur. Il fallait qu'ils se forment massivement. Je me félicite de voir que beaucoup d'experts comptables et de commissaires aux comptes sont allés suivre le visa de durabilité qui représente une formation de quatre-vingt-dix heures en se disant : je ne le fais pas uniquement parce que je vais être auditeur d'auditeur de durabilité, mais simplement parce que je veux acquérir une compétence, une connaissance qui va me permettre de pouvoir m'exprimer auprès des dirigeants d'entreprises sur ces sujets et être légitime ».

Il a également souligné la difficulté d’embarquer les PME, souvent découragées par la complexité du contexte normatif. « Il faut faire preuve de pédagogie et montrer que ce n’est pas un exercice vain, mais une réflexion stratégique essentielle pour la pérennité de leur activité ».

Vers un reporting stratégique et lisible

Sarah Bagnon, présidente de la commission Durabilité à la CNCC, a insisté sur la nécessité de recentrer le reporting sur sa finalité : « expliquer la stratégie de durabilité aux parties prenantes ». Elle a appelé à une deuxième année de reporting plus claire, plus lisible, et mieux articulée autour de l’objectif stratégique, en limitant la complexité excessive.

Selon elle, le reporting volontaire, notamment pour les entreprises de 500 à 1 000 salariés potentiellement exclues du champ de la CSRD, jouera un rôle croissant : « Ces entreprises, clés dans les chaînes de valeur, ont tout intérêt à continuer leur démarche, ne serait-ce que pour leur propre résilience. »

Elle a exposé l'engagement des entreprises déjà sensibilisées : « 82% nous disent qu'ils vont continuer le reporting, qu'ils vont le faire dans neuf cas sur dix dans un format enrichi par rapport à la DPEF. Dans un cas sur deux, elles vont demander à leur commissaire aux comptes une assurance volontaire sur ces reportings ».

Un constat alarmant sur l'arrêt des missions

Yannick Ollivier, président de la commission Durabilité du CNOEC, a livré un témoignage particulièrement préoccupant : « Moi, sur le terrain, j’ai constaté que pour  80% de nos clients qui étaient concernés, la mission s'est arrêtée ».

Cette déclaration qui tranche avec les résultats de l'enquête menée par la CNCC, révèle un décalage entre les intentions déclarées et la réalité opérationnelle. Pour Yannick Ollivier, cette situation s'explique par l'incertitude réglementaire : « Je pense que les entreprises ne disent pas : attention, on va arrêter le reporting, ça ne sert à rien. Elles disent : de toute façon, on a besoin de savoir comment on va atterrir et quelle va être vraiment la norme ». Il a ainsi mis en lumière le fait  que les entreprises attendent des clarifications sur les réformes profondes du système normatif avant de reprendre leurs démarches.

Un appel à retrouver l'esprit originel de la CSRD

Hélène Valade, présidente de l'ORSE, a prôné un retour aux fondamentaux : « Il faut renouer avec l'esprit de la CSRD, c'est-à-dire arrêter de considérer l'exercice comme étant un exercice de pure compliance, mais la considérer comme une aide à l'évolution de la stratégie et donc du modèle économique ».

Elle a mis en garde contre un excès de formalisme : « À force d'être trop dans la technicité pour l'ensemble des sujets de durabilité, de RSE et de CSRD, on perd tout le monde. Si les réactions ont été aussi violentes, c'est bien parce que nos sujets ont souvent été perçus comme trop techniques, trop contraignants ».

La nécessité de « garder le cap »  malgré les difficultés

Face à cette situation, le président de la commission Durabilité du CNOEC appelle à maintenir la mobilisation : « Il faut garder le cap. On ne fait pas du reporting pour du reporting, ce n'est pas un exercice obligé. Cet exercice de reporting a été mis en place pour que les entreprises puissent affichent leurs actions en matière de durabilité ainsi que l'intelligence de leur réflexion et ce qui va créer de la valeur à leur organisation demain ».

Yannick Ollivier a insisté sur le rôle crucial des experts-comptables dans cette démarche : « Les experts comptables doivent porter la bonne parole et être capables de convaincre le dirigeant à réfléchir sur son modèle d’affaires, en cohérence avec l'ensemble de la chaîne de valeur ».

Un contexte politique défavorable

Yannick Ollivier n’a pas hésité à pointer du doigt le « manque de courage politique » des pouvoirs publics : « Je me souviens très bien du jour de l’adoption de la CSRD, la France était encore à la tête de la présidence de la Commission européenne. J'étais le plus heureux des hommes. Voir aujourd'hui ce retour en arrière me désespère ». Il a aussi évoqué  la « résistance massive au changement »  observée dans le contexte de l'année 2024 et des « changements d'orientation politique », qualifiant la situation de « galère sans nom ».

Unir les forces pour ne pas décrocher

Tous les intervenants ont insisté sur l’importance du dialogue entre parties prenantes : professionnels, normalisateurs, entreprises, gouvernance. « On ne réussira cette transformation qu’en marchant ensemble », a rappelé Yannick Ollivier.

Il a également lancé un appel à la mobilisation des conseils d’administration, encore trop peu impliqués :
« Il faut les outiller. Eux aussi ont besoin d’être embarqués dans cette dynamique ».

Tandis qu'Hélène Valade a suggéré des « réunions hebdomadaires avec les commissaires aux comptes sur les missions » et un « rythme régulier entre nos institutions ».

Une table ronde comme signal d’alerte et levier de mobilisation

Cette table ronde a mis en lumière un paradoxe : jamais la durabilité n’a été aussi stratégique, et pourtant, jamais les entreprises n’ont été aussi nombreuses à douter. Yannick Ollivier l’a exprimé avec force : « On n’a pas le droit de lâcher maintenant. Ce serait un gâchis collectif ».

Le message est clair : il faut redonner du sens, clarifier les attentes, et accompagner les entreprises pour qu’elles reprennent leur trajectoire de transformation.

Samorya Wilson