La BCE met en garde contre le démantèlement du reporting durable des entreprises

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Dans un avis rendu le 8 mai 2025, la Banque centrale européenne s’oppose à une série d’amendements aux directives européennes sur la durabilité des entreprises, proposés par la Commission. La BCE alerte sur les risques d’un affaiblissement du cadre réglementaire du reporting durable (CSRD) et du devoir de vigilance (CSDDD), essentiels selon elle à la stabilité financière, à la transparence et à la compétitivité de l’Union européenne.

Face aux propositions de la Commission européenne du 26 février 2025, appelées « Omnibus » et « Stop the clock » visant à alléger les exigences de reporting et de diligence raisonnable en matière de durabilité des entreprises, la Banque centrale européenne (BCE) a rendu un avis nuancé. Tout en soutenant l'objectif de réduction des coûts de conformité, l'institution européenne, garante de la stabilité monétaire et financière , a publié un avis détaillé dans lequel, elle met en garde contre un assouplissement trop important qui pourrait compromettre « la qualité, la comparabilité et l’utilité des données de durabilité ».

Une vigilance accrue sur les risques ESG

Pour la BCE, le reporting de durabilité constitue un outil essentiel à la gestion des risques environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG), tant pour les investisseurs que pour les superviseurs bancaires. L’institution plaide pour un cadre harmonisé et robuste, permettant de collecter des données fiables, comparables et utiles à l’évaluation des risques financiers liés au climat.

Elle déplore que les nouvelles propositions excluent environ 80 % des entreprises actuellement couvertes par la CSRD, ce qui limiterait fortement l’accès à des informations cruciales pour la supervision bancaire et la politique monétaire. En particulier, une institution financière significative sur huit pourrait être exemptée, compromettant la transparence nécessaire à l’évaluation de leur exposition aux risques ESG.

Propositions concrètes de la BCE sur la CSRD

Face à cette réduction du champ d’application, la BCE formule plusieurs recommandations :

  • Abaisser le seuil d’éligibilité de 1 000 à 500 employés pour inclure davantage d’entreprises dans le périmètre de la directive.
  • Maintenir les obligations de reporting pour les institutions financières significatives, quel que soit leur effectif.
  • Développer des normes de reporting simplifiées pour les entreprises de taille moyenne, afin de garantir une approche proportionnée.
  • Préserver l’adoption de normes sectorielles spécifiques pour assurer la comparabilité entre entreprises d’un même secteur.
  • Renforcer la fiabilité des données via des lignes directrices sur l’assurance limitée, à adopter d’ici 2026, et un objectif de normes d’assurance raisonnables d’ici 2030.

Le reporting volontaire entraine un risque de données biaisées

Tout en soutenant la simplification administrative et la compétitivité des entreprises européennes, la BCE exprime des réserves quant à l’introduction de normes de reporting volontaire pour les entreprises exclues du champ obligatoire. Elle alerte contre un biais d’auto-sélection, où seules les entreprises les plus performantes en matière de durabilité publieraient volontairement des données, faussant ainsi la perception globale du marché.

Ce système pourrait aussi accroître le risque de greenwashing, notamment en l’absence d’un contrôle externe fiable. Les rapports non vérifiés risquent de manquer de rigueur, ce qui pourrait exposer les entreprises à des risques juridiques accrus et compromettre l’utilité des données pour les autorités de supervision.

Renforcement des mécanismes de vérification et d’assurance

Consciente de l’importance de données crédibles, la BCE insiste sur le renforcement des mécanismes d’assurance liés au reporting durable. Elle recommande :

  • L’adoption rapide de lignes directrices pour une assurance limitée d’ici 2026.
  • Le développement de normes d’assurance raisonnable d’ici 2030, après une évaluation de faisabilité.
  • Une flexibilité accrue dans l’application de ces normes, afin de s’adapter aux capacités des entreprises, en particulier les PME.

Ces mécanismes visent à améliorer la qualité des données communiquées, tout en assurant un équilibre entre rigueur et proportionnalité.

Le devoir de vigilance, un garde-fou à ne pas affaiblir

S’agissant de la directive sur le devoir de vigilance (CSDDD), la BCE appelle à ne pas édulcorer les exigences pour les institutions financières. Elle propose de maintenir une clause de révision spécifique au secteur financier, avec un rapport attendu en 2030 pour évaluer l’opportunité de règles plus strictes.

La BCE recommande également de clarifier les obligations liées aux plans de transition climatique, en imposant des mises à jour annuelles et des objectifs chiffrés de réduction des émissions de gaz à effet de serre.

Un équilibre délicat entre allégement et efficacité

Les propositions de la BCE reflètent la recherche d'un équilibre délicat entre la nécessité de réduire la charge administrative sur les entreprises et le maintien d'un niveau d'information suffisant pour préserver la stabilité financière. L'institution européenne rappelle que "un reporting harmonisé aide à éviter des coûts de conformité inutiles pour les entreprises" tout en insistant sur le fait que "la disponibilité d'informations standardisées sur la durabilité améliore la capacité de la BCE à remplir ses fonctions".

Ces amendements proposés par la BCE seront désormais examinés par la Commission européenne et le Parlement européen dans le cadre des discussions sur la révision des directives de reporting et de diligence raisonnable en matière de durabilité.

Samorya Wilson