L’étude « Pulse of Banking » publiée par KPMG le 22 mai dernier, décrypte la première vague de reporting CSRD dans l’industrie bancaire européenne. L’enquête, menée auprès de 20 banques européennes, révèle un secteur engagé, mais encore en transition. Si la transparence progresse nettement, la comparabilité et l’exploitabilité stratégique des données ESG demeurent à renforcer.
Selon l’étude de KPMG relative à la gestion des impacts de la CSRD par l’industrie bancaire, la première vague de publications des reportings de durabilité, marque un tournant pour le secteur. D’après les auteurs, l’exercice, inédit par son ampleur, a permis d’instaurer une nouvelle dynamique autour de la double matérialité, combinant analyse des impacts ESG et enjeux financiers. Rappelons que la CSRD impose aux grandes entreprises, dont les banques, de publier des états de durabilité détaillés, centrés sur la gestion des impacts, risques et opportunités significatifs (IROs).
Une certification qui souligne les zones d’ombre
Tous les états de durabilité du panel ont été certifiés sans réserve par les auditeurs, preuve du respect global des exigences CSRD. Toutefois, la moitié des banques a reçu des observations sur trois axes :
l’analyse de double matérialité ; la conformité aux normes ESRS, notamment sur le calcul des émissions financées (scope 3.15) et la taxonomie, avec des remarques sur les choix méthodologiques et les limites exposées. Ainsi, Crédit Agricole et BPCE ont reçu des remarques sur la rigueur méthodologique de l’analyse de double matérialité et la complétude des données liées aux émissions financées. HSBC Continental Europe a vu son plan de transition épinglé pour ses limites de périmètre.
Ces exemples rappellent que la certification ne garantit pas encore une parfaite fiabilité des données.
La double matérialité reste un filtre stratégique en construction
La double matérialité s’impose comme un filtre central, permettant d’identifier les thématiques réellement significatives pour chaque banque. Un consensus sectoriel émerge autour de quatre axes : le changement climatique, les effectifs propres, les consommateurs finaux et la conduite des affaires. À l’inverse, la biodiversité et la pollution sont jugées peu matérielles par la majorité des établissements, notamment français et espagnols. Cependant, Rabobank et ING se sont démarquées en appliquant des méthodologies robustes pour qualifier les thématiques notables.
Le changement climatique au cœur des préoccupations
Le climat reste la priorité ESG numéro un : 90 % des banques du panel sont signataires de la Net-Zero Banking Alliance (NZBA) et 80 % communiquent sur des engagements de réduction des GES. Pourtant, la lisibilité des données sur les émissions de gaz à effet de serre demeure perfectible. Seules 65 % des banques publient les informations chiffrées sur les scopes 1, 2 et 3 (y compris les émissions financées), et 75 % excluent les émissions financées du tableau réglementaire, dispersant l’information dans différents chapitres. Par exemple, BNP Paribas et Société Générale indiquent leurs engagements par secteur mais sans les relier systématiquement aux actifs concernés.
Plans de transition : maturité et transparence disparates
60 % des banques ont publié un plan de transition pour leurs opérations propres. Crédit Agricole, par exemple, s’appuie sur le référentiel SBTi, tandis que Barclays s’engage à désengager certains secteurs à forte intensité carbone, comme le charbon.
Sur les émissions financées, les engagements sont souvent exprimés en intensité. Commerzbank et UniCredit illustrent bien cette approche, qui peut masquer une couverture limitée en termes de contreparties ou de scopes d’émissions
Si la plupart des banques affichent des engagements, la granularité des informations et la clarté sur la contribution de chaque secteur à l’objectif global font encore défaut. Les méthodologies utilisées, souvent basées sur des estimations et des données externes, limitent la comparabilité et la robustesse des analyses.
Bonnes pratiques et axes d’amélioration
L’étude KPMG met en avant plusieurs bonnes pratiques, notamment la clarté sur la double matérialité et la transparence des hypothèses utilisées. Ainsi, certaines banques introduisent des éléments innovants : Groupe Crédit Agricole et La Banque Postale expliquent leurs formules de cotation des IROs, facilitant la lecture. HSBC mentionne les changements de périmètre via des données pro-forma, renforçant la comparabilité.
Ces initiatives doivent inspirer les autres établissements pour faire de la CSRD un levier de pilotage.
Pour les prochaines publications, les axes d’amélioration prioritaires concernent la lisibilité, la présentation et la comparabilité des informations.
Un angle mort : l’empreinte numérique sous-estimée
L’impact environnemental du numérique reste absent des rapports CSRD. Pourtant, il représente environ 35 % des émissions du scope 2 pour une banque.
Des acteurs comme BNP Paribas ou Société Générale, pourtant pionniers du numérique responsable, n’abordent pas ce sujet dans leurs états de durabilité. Cette omission empêche une évaluation fine des impacts liés à l’infrastructure numérique, à l’heure où l’intelligence artificielle amplifie encore l’empreinte carbone.
De la transparence à la gestion des impacts
La CSRD a déclenché une dynamique réelle de structuration des données ESG. Mais pour qu’elle devienne un véritable outil de gestion intégré, les banques doivent combler plusieurs lacunes : structuration des plans de transition, alignement des scopes, intégration dans les systèmes de pilotage.
L’étude de KPMG souligne un paradoxe : la transparence progresse, mais la stratégie opérationnelle reste à bâtir. Pour que la CSRD remplisse pleinement sa promesse, les gouvernances bancaires devront aller au-delà du reporting — et en faire un instrument de pilotage au service d’une finance durable et responsable.
Retrouvez l’étude complète ici :
Samorya Wilson